- 12 – Jean Louis MURAT … et ceux venus d’ailleurs …
En choisissant ce titre … « Ceux venus d’ailleurs » j’ai longtemps hésité. Je ne veux pas forcément parler des étrangers … je veux également évoquer ceux qui viennent du temps passé. Les trouvères et les baladins en sont le meilleur exemple. MURAT … artiste curieux et cultivé, loin de négliger ces temps immémoriaux … va chercher dans ce passé des sources d’inspiration. On l’a déjà vu avec Pierre Jean DE BERANGER qu’il nous donne à connaître et à aimer … « 1829″.
MURAT ne renie donc pas le passé. Souvent, pour ne pas dire toujours il fait le contraire de ce que font ses congénères. Dans les années 80 être chanteur et avouer qu’on aime BOURVIL … on ne peut pas dire que celà soit porteur. Il le dit (sans doute) parce qu’il a entendu sa grand -mère chanter … « Mon père m’avait donné un jolie nom … salade de fruit … salade de fruit … jolie jolie« … Etre chanteur et porter haut et fort les couleurs de la ruralité ce n’est pas non plus ce qu’il y a de plus « conseillé » en terme « d’image« . MURAT n’en n’a cure. Il se décrit tel qu’il est sans fard ni faux semblants : fils de divorcés … petit fils d’alcoolique … enfant charriant le fumier … Il révèle tout ce que d’autres auraient caché … En terme de culture il se comporte de la même façon. Il va chercher partout … de PROUST à NIETZSCHE … Ce qui est remarquable avec MURAT c’est qu’il vous donne à connaître des univers … des hommes … des époques … variés et différents … qu’on ne s’attend pas à trouver là … Le cas de la chanson qui suit en est le meilleur exemple … « La surnage dans les tourbillons d’un steamer »… Voilà un titre bien énigmatique … du français … de l’anglais et dans le texte vous vous trouvez confrontés avec un inconnu … un trouvère … et vous vous demandez … mais qu’est-ce qu’il vient foutre là celui-là ??? C’est MURAT … et son talent … pour qui veut gratter l’écorce et y trouver la substantifique moelle.
En 2002 il chante :
»Dans cette mer salée, en panthère odorante
Je suis Colin Musset en pelisse de vair
Et je surnage dans les tourbillons d’un steamer
C’est la surnage dans les tourbillons d’un dreamer »
Colin MUSSET ??? Très peu de gens connaissent. Et pour cause. Il s’agit d’un trouvère né vers les années 1210. D’origine champenoise, il chante, jongle, écrit des chansons qui parlent de son époque. Il fréquente la cour des ducs de Lorraine. On conserve de lui une vingtaine de chansons qui ont été publiées en 1912 par le médiéviste Joseph BEDIER . Sept de ces chansons sont pourvues d’une notation musicale. Parmi ces pièces qui comportent de nombreux détails sur la vie errante et les cours qu’il visite il faut citer cette supplique : « Sire Cuen j’ai viélé » …
Sire Cuen, j’ai viélé …
« Sire comte, j’ai viélé
Devant vous en votre demeure
Et ne m’avez rien donné
Ni mes gages acquittés
C’est vilénie !
Foi que dois à Marie
Je ne vous servirai mie
Mon aumônière est mal garnie
Et ma bource mal farcie
Et ma bource mla farcie.
Sire Comte, vous exigez
Ce que vous voulez de moi;
Et si mon chant appréciez
Un beau don lors me donnez
Par courtoisie
Il me faut n’en douter mie
Retournez en ma mesmie
Si ma bourse est dégarnie
Ma femme ne me souri mie.
Mais me dit « Sire empoté »
En quel lieuz avez été
Que n’avez rien gagné ?
Vous avez trop musardé
De par la ville.
Trop votre besance plie !
Elle est bien de vent farcie
Honni soit qui garde envie
D’être en votre compagnie ».
Quand j’arrive à ma maison
Ma femme a t’elle aperçu
Par derrière un sac enflé
Et que je suis bien habillé
De robe grise
Sachez qu’elle pose vite
La quenouille. Sans feintise
Elle me sourit. Par franchise
Ses deux bras au cou me lie.
Lors ma femme va vider
Mon sac sans plus tarder
Mon garçon va abreuver
Mon cheval et l’étriller
Ma servante va chercher
Deux chapons pour me fêter
Et les épices
Ma robe apporte ma fille
En ma main par courtoisie
Lors suis de mon hotel sire
Et j’y puis chanter et rire
Plus que nul ne saurait dire ».
Qu’en remarquable français cela est dit. Voilà qui nous apprend beaucoup sur l’époque du Moyen Âge … Vous lisez ce texte vous êtes plus riche … les mots sont autant d’images qui vous sautent aux yeux … Les mots vont à l’essentiel … Pas de fioriture … J’imagine que MURAT a lu et relu ces lignes …
Extrait de partition « Sire Cuen j’ai viélé » …
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Voici la traduction d’une au autre chanson de Colin MUSSET … qui met en lumière un autre trait de sa personnalité … chanteur, bonimenteur, charmeur … coureur de jupons …
… Quand je vois l’hiver revenir …
« Quand je vois l’hiver revenir,
Je voudrais me reposer.
Si je pouvais trouver un hôte
Large, qui ne voulu pas compter,
Qui eut porc et boeuf et mouton,
Canard, faisan et venaison,
Grasse géline et chapons
Et bons fromages sur clayon,
Et que la dame fut aussi
Courtoise que l’est le mari,
Et tout le temps fit mon plaisir,
Nuit et jour jusqu’à mon départ,
Et qu’l'hote n’en fut pas jaloux.
Mais nous laissat souvent tout seuls,
Je ne seras pas désireux
De suivre en chevauchant, couvert de boue
Un mauvais prince coléreux ».
Le trouvère est donc homme de chaire … aimant bombance … à moindre frais … profitant sans vergogne du logis qui lui est donné … n’hésitant pas à jouer les amants impénitents … Maître es jactance … Il y a du Murat chez ce Colin Musset …
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Voici une 3ème chanson de Colin MUSSET … version originale et sa traduction … Une autre façon de voyager à travers le temps …
La douce voiz du louseignol sauvage
Qu’oi nuit et jour cointoier et tentir
M’adoucist si le cuer et rassouage
Qu’or ai talent que chant pour esbaudir;
Bien doi chanter puis qu’il vient a plaisir
Cele qui j’ai fait de cuer lige homage;
Si doi avoir grand joie en mon corage,
S’ele me veut a son oez retenir.
La douce voix du rossignol des bois
que j’entends nuit et jour gazouiller et retentir,
m’adoucit et m’attendrit à tel point le coeur
que le désir me prend de chanter pour manifester ma gaîté.
Il me faut bien chanter puisque cela plaît à celle
à qui j’ai fait hommage lige de mon coeur:
aussi, dois-je avoir grand’joie dans l’âme
si elle veut bien me retenir à son gré.
Onques vers li n’eu faus cuer ne volage,
Si m’en devroit pour tant mieuz avenir,
Ainz l’aim et serf et aour par usage,
Maiz ne li os mon pensé descouvrir,
Quar sa biautez me fait tant esbahir
Que je ne sai devant li nul language;
Nis reguarder n’os son simple visage,
Tant en redout mes ieuz a departir.
Jamais je n’eus envers elle le coeur trompeur ni infidèle:
un grand bien devrait m’échoir.
Mais je ne cesse de l’aimer, de la servir, de l’adorer,
sans pourtant oser lui révéler mon souci amoureux,
car sa beauté me bouleverse tellement
que je perds en sa présence la parole;
et je n’ose même contempler son visage découvert,
tant je redoute d’avoir à en détacher les yeux.
Tant ai en li ferm assis mon corage
Qu’ailleurs ne pens, et Diex m’en lait joïr!
C’onques Tristanz, qui but le beverage,
Pluz loiaument n’ama sanz repentir;
Quar g’i met tout, cuer et cors et desir,
Force et pooir, ne sai se faiz folage;
Encor me dout qu’en trestout mon eage
Ne puisse assez li et s’amour servir.
J’ai fixé si fermement en elle mon coeur
que je n’adresse nulle part ailleurs ma pensée amoureuse (puisse Dieu me laiser cette joie!),
car jamais Tristan qui but le philtre
n’aima plus loyalement, sans retour.
Je place, en effet, tout en elle, coeur, corps, désir,
force, pouvoir. J’ignore si c’est faire une folie.
Je doute cependant de pouvoir, dans ma vie entière,
servir assez elle et son amour.
Je ne di pas que je face folage,
Nis se pour li me devoie morir,
Qu’el mont ne truis tant bele ne si sage,
Ne nule rienz n’est tant a mon desir;
Mout aim mes ieuz qui me firent choisir;
Lors que la vi, li laissai en hostage
Mon cuer, qui puiz i a fait lonc estage,
Ne ja nul jour ne l’en quier departir.
Je ne dis pas que je fasse une chose déraisonnable,
pas même si, pour elle, il me fallait mourir,
car je ne trouve personne au monde plus belle ni plus sensée;
aucun objet n’est plus conforme à mon désir.
J’aime mes yeux qui me la firent choisir.
Quand je la vis, je lui laissai en otage
mon coeur, qui depuis lors a fait chez elle un long séjour,
mais je n’entends pas qu’il la quitte jamais.
Chançon, va t’en pour faire mon message
La u je n’os trestourner ne guenchir,
Quar tant redout la fole gent ombrage
Qui devinent, ainz qu’il puist avenir,
Les bienz d’amours (Diex les puist maleïr!).
A maint amant ont fait ire et damage;
Maiz j’ai de ce mout cruel avantage
Qu’il les m’estuet seur mon pois obeïr.
Chanson, va transmettre mon message
là où je n’ose faire un détour,
tant je crains ces stupides fâcheux
qui, avant même l’événement,
soupçonnent et devinent le bonheur d’amour. Puisse Dieu les maudire!
Ils ont causé tristesse et dommage à plus d’un amant.
Mais je tire un cruel avantage du fait
que c’est contre mon gré que je dois leur obéir.
Voilà … ce voyage dans le temps passé … le temps qui passe est à présent terminé … Ce n’est pas moi qui vous y ait mené … c’est Murat et sa curiosité qui l’espace d’un instant devient nôtre. Je me suis enrichi de mots nouveaux … esbodir … joïr … morir … esbahir … desir …
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… Jean DE LA CROIX …
JUAN DE YEPES Alvarez qui prend le nom de Jean DE LA CROIX en religion, est né le 24 juin 1542 à Fontiveros (Espagne). Il meurt au couvent d’UBEDA le 14 décembre 1591.
Jean DE LA CROIX est fréquemment cité par MURAT pour ses talents de poète.
Issu d’une famille d’aristocrate, il entre au Carme. Il y fait la rencontre de Thérèse d’Avila réformatrice de l’ordre du carmel. Elle lui demande de prendre en charge l’ordre masculin du Carmel. Il accepte. Le 2 décembre 1577, une guerre entre les carmes chaussés et déchaussés (dont il fait partie) le conduit en prison. Il y subit un régime sévère dans une prison de Tolède. Chaque semaine il est fouetté pour qu’il accepte de mettre fin aux réformes qu’il a entrepris. Il refuse. Il parvient à s’échapper de cette prison le 17 août 1578. Durant son temps de prison il écrit « la nuit de la foi ». Il rédige des poèmes : « les cantiques spirituels ». Le temps passé en prison lui aura permis de devenir créatif.
Evadé, il se cache chez les soeurs déchaussées de Tolède. Il bénéficie de la protections d’amis de Thérèse d’Avila. A partir de la fin de l’année 1778, il s’installe au couvent de Calvario. Il va y écrire de nombreux poèmes dont je vous livre quelques exemplaires …
… Le pastoureau …
Un pastoureau, esseulé, est en peine,
Loin de tout plaisir et contentement
La penée fixée en sa pastourelle
Et le coeur par l’amour tant déchiré.
Il ne pleure pas son amour blessé,
Ni la peine de se voir affligé
Bien qu’en soncoeur il se senté navré
Mais il pleure de se voir délaissé.
Car rien qu’à la pensée d’être oubliée
Par sa belle bergère, il souffre peine
Se laisse outrager, en terre lointaine,
Le coeur par son amour tout déchiré.
Et le pastoureau dit « Ah quel malheur »
De s’être éloigné de mon amour
Ne voulant pas jouir de ma présence
Et de mon coeur par mon amour blessé.
Après un long moment, il est monté
Sur un arbre où il ouvrit ses beaux bras
Et mort il demeura pendu à eux
Et le coeur par l’amour tout déchiré.
… Nuit …
Par une nuit obscure
Ardente d’un amour plein d’angoisses,
Oh ! l’heureuse fortune
Je sortis sans être vue,
Ma maison désormais en repos.
A l’obscur et en assurance,
Par l’échelle secrète, déguisée,
Oh ! l’heuruse fortune !
A l’obscur et en cachette,
Ma maison désormais en repos.
Au sein de la nuit bénie,
En secret car nul vie ne voyait,
Ni moi je ne voyais rien
Sans autre lueur ni guide
Hormis celle qui brûlait en mon coeur.
Et celle-ci me guidait,
Plus sure que celle du midi,
Où celui-là m’attendait
Que je connaissais déjà :
Sans que nul en ce lieu ne parut.
Oh nuit ! Toi qui m’as guyidée
Oh nuit ! Plus que l’aurore aimable,
Oh nuit ! Toi qui as uni
L’Aimée avec son Aimé
L’aimée en son Aimé transformé.
… Chanson dite par l’âme, en son intime union avec Dieu …
Ô flamme d’amour vive,
Qui tendrement me blesses
Au centre le plus profond de mon âme,
N’ayant plus de rigueur,
Achève si tu veux,
Brise la trame de ce rencontre heureux.
O cautère suave
Ô délicieuse pluie
Ô douce main, ô touche délicate,
Qui a goût d’éternité
Et toute dette paie
Tuant, la mort en vie tu as changée.
Ô torches de lumière,
Dans les splendeurs desquelles
Les profondes tavernes du sens
Qu’il était obscur, aveugle,
Par d’étranges faveurs,
Chaleur et clarté donnent à l’ami.
Que doux et amoureux
Tu t’éveilles en mon sein
Ou toi seul en secret as ton séjour
Ton souffle savoureux
Plein de glore et de bien,
Que délicatement il m’énamoure !
Au moment de sa mort il demande à ce qu’on lui lise le « cantique des cantique » (ode à l’amour et à la vie) plutôt que la prière des agonisants. Il est fait Saint par l’autorité du Pape.
… Citations … Saint Jean DE LA CROIX …
« Au soir de cette vie, vous serez jugés sur l’amour ».
« Il arrive qu’au milieu des exercices spirituels s’élèvent des mouvements de sensualié ».
« L’inquiétude est toujours vanité ».
« Quand le souffle provenait du fort; soulevait déjà sa chevelure, de sa douce main posée sur mon cou il me blessait, et tous mes sens furent suspendus ».
« Sur mon sein orné de fleurs, que je gardais tout entier pour lui tout seul, il resta endormi, et moi je le caressais. Et avec un éventail de cidre je le rafraîchissais ».
Au cours de mes recherches j’ai eu la surprise d’apprendre qu’un des musiciens de Charlélie COUTURE … j’ai nommé Pierre ELIANE, vers l’âge de 30 ans, s’est engagé comme carmélite … Il a cependant poursuivi sa carrière d’artiste mettant en musique une partie de l’oeuvre de Jean DE LA CROIX …
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(le cantique spirituel) …
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(par une nuit obscure) …
Bonne écoute … Je ne cherche à faire aucune propagande … je déteste les hommes d’église … mais quand une voix est belle je ne peux qu’y souscrire … d’où qu’elle vienne … et celle de Pierre ELIANE est assurément belle !
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