- 6 – Jean Louis MURAT … « Etude de personnalité … au travers de ses interview écrites » …
Sur cette page nouvelle, au travers d’articles de presse, je vais m’attacher à faire ressortir les « clefs » qui nous permettent de mieux comprendre le personnage « MURAT » … Je ne ferai pas de commentaire, je me contenterai de choisir des réponses aux questions posées qui à mon sens sont révélatrices du personnage. Mais ce choix là est déjà subjectif … J’essaierai seulement d’être honnête.
Les interview écrites de Jean Louis Murat révèlent sa personnalité complexe mais tellement attachante. Je fais volontairement abstraction des interview radio et plus encore télé qui donnent dans la caricature. Trop souvent on n’en retient que l’esbroufe … une phrase sortie de son contexte … où tout est bon pour faire « le buzz ».
Cette page sera donc consacrée aux articles de presse jalonnant la carrière de Jean Louis Murat qui selon moi révèlent le plus la personnalité de JLM. Là aussi le choix est subjectif … Mais qu’est ce qui ne l’est pas ??? C’est davantage à « l’homme » … j’allais dire le « p’tit garçon » que je vais m’intéresser plus qu’aux chansons. Pourtant les deux sont indissociables … l’homme et le p’tit garçon se retrouvent toujours dans les chansons de JLM … C’est également le cas pour les autres artistes.
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Les Inrockuptibles n° 31/1991
« Mon âme de berger »
C’est sous la plume de Christian FEVRET, dans cet article des « Inrocks » que l’on perçoit le mieux la véritable personnalité de Murat.
C.F. : Enfant, tu étais déjà quelqu’un qui n’avait apparemment, rien à cacher ?
JLM : J’étais très secret. Je suis d’un monde où tout était caché, enfermé dans des malles. Rien n’était au jour, les gens puaient la naphataline. le monde de la France profonde, paysan et auvergnat, le monde du secret, car beaucoup de choses ne se font pas. Ma mère me dit encore que je lui fais honte lorsque je dis certaines choses. Je ne disais jamais rien, car lorsque tu racontais quelque chose d’intime, tu faisais honte à tes parents et à ta famille. J’ai voulu sortir de ce sentiment de honte, tout dire. J’étais l’introverti type, c’est un gros effort de sortir tout ça, mais indispensable. Avant, j’étais une sorte d’individu bouché.
C.F. : Tu aurais pu ne garder qu’un souvenir détestable de l’enfance. N’as-tu pas été tenté de la rejeter en bloc ?
JLM : Ce qui me retient encore à tout l’univers de l’enfance, c’est que j’ai été élevé par mon grand-père. Il était très silencieux, mais en lutte contre ce monde de l’hypocrisie, du mensonge et des silences de la campagne. Au milieu de toute cette famille , c’était un peu l’artiste, silencieux, un sage. Qui buvait comme un trou, mais sage. Qui pouffait lorsqu’il y avait des hypocrisies, qui haussait les épaules, prenait sa casquette et sortait. Bien que je me souvienne aussi de moments où il n’était pas aussi clair que ça … Évidemment, il y avait les parents, tout ça, mais mon enfance, c’est chez mes grands-parents et le rapport privilégié avec mon grand-père. Très souvent j’y pense. Le film que j’ai tourné dans la chapelle de la Roche-Charles, c’est pour lui.
C.F. : Comment te considérais-t’on lorsque tu étais enfant ?
JLM : J’étais le bon élève type, mais de la campagne. Un peu bouseux quoi. je sortais plus tôt de l’école, pour aider aux foins. Ça m’a mis de suite à part, c’est de là que vient ma haine du citadin. Il n’y avait que l’amour des filles qui m’intéressait, j’étais le sentimental premier de la classe, qui ne parlait pas beaucoup. De l’enfance, je garde en moi une impression. Mais les individus, les objets, les lieux, je vomis tout ça. Il ne faut pas utiliser les souvenirs de l’enfance plus que le parfum …
C.F. : Où trouves-tu ton plaisir ?
JLM : Il n’y a que dans l’amour que tu peux prendre de la hauteur. Être avec la fille que j’aime. Il n’y a que dans mon histoire avec Marie que je prends de la hauteur. Bien que ce soit extrêmement compliqué, qu’on ait chacun un caractère de cochon … Moi je me sens vraiment bien que si je peux donner du plaisir à la fille que j’aime. C’est le seul moment où tu ne te poses pas de question, où tu ne te sens pas archi-déglingué. Ce sont des moments à saisir rapidement, parce que tu as toujours l’impression que le plaisir et le chagrin sont des cousins germains, que tu prends toujours le plus grand plaisir dans l’antichambre de la mort. Tu es dans le grand bonheur, mais tu frôles le plus grand malheur. Parler du chagrin et du plaisir c’est un peu la même chose ?…
C.F. : Le même thème revient d’ailleurs systématiquement, sous des métaphores voisines : dans l’infidèle, Corridor humide, Gorge profonde, « Les Entrailles vives », même dans le Col de la Croix Morand ?
JLM : Oui, quand je dis Col de la Croix Morand, c’est vulgaire, mais c’est le col de l’utérus, sans problème. Pour corridor humide j’étais en studio, j’avais cette nouvelle chanson et je me suis dit que j’allais la faire comme ça : rapidement. Une fois terminée, je suis revenu en cabine. Marie et quelques copains m’ont dit « Elle est dégueulasse c’te chanson ! ». J’ai dit « Quoi, qu’est-ce qu’il y a de dégueulasse ? ». Sincèrement il ne m’était jamais venu à l’esprit que le corridor humide puisse être une métaphore sexuelle.
C.F. : Cette chanson a choqué beaucoup, notamment les filles. En la matière, as-tu des barrières ?
JLM : Ca ne me plairait pas de choquer une femme avec les paroles d’une chanson. Par contre, il y a des textes que je lis à ma façon, qui me paraissent très violents et vulgaires, alors que personne ne me dit rien, comme l’Infidèle (rires) … Pour moi la grande intrigue c’est le plaisir des femmes. J’ai l’impression que la seule fonction à peu près utile de l’homme, ou d’un mec comme moi, c’est de donner du plaisir à la femme, tout en restant totalement étranger à ce plaisir là. Il me semble retrouver tout le mystère du monde, tout le mystère de nos vies, de la création. Tu es au coeur d’une femme et tu es au coeur du monde. Tu frôles la mort et le chagrin, malgré tout, tu es dans la joie et le plaisir. Mon plaisir je m’en fous. C’est toujours le plaisir de l’autre qui est fondamental. Je suis à la fois émerveillé et intrigué. Rien de culturel la-dedans. Ca reste strictement animal, mais tu atteints le plus grand moment de spiritualité. Malgré tout, lorsqu’on voit des animaux s’envoyer en l’air, c’est magnifique, parfois beaucoup plus beau que deux grassouillets suants. Les danses d’amour, la fidélité, Conrad Lorenz par exemple, lorsqu’il étudiait ses couples d’oies, c’est à la vie à la mort, toute la vie le même couple sera toujours fidèle. Si le mâle ou la femelle meurt, l’autre se laisse mourir.
C.F. : Quand as-tu compris que c’était une question clé ?
JLM : J’ai toujours été fasciné par les filles, les femmes …
C.F. : Les tout premiers sentiments, les tout premiers émois ont-ils été déterminants pour la suite ?
JLM : J’étais d’une fidélité absolue, j’ai eu un grand amour pendant très longtemps et il ne s’est jamais rien passé. Depuis tout petit, depuis la maternelle jusqu’à 14-15 ans. Il ne s’est jamais rien passé. Des fois je me dis que je vis peut-être les autres histoires comme une espèce de dégradation, qu’en amour c’est ce que j’ai vécu de mieux, cet amour chaste. L’amour dans la chasteté, c’est vraiment fort. Quand tu es avec une fille, il y a souvent beaucoup plus à perdre qu’à gagner à s’envoyer en l’air. Et dans l’amour chaste, c’est trouver le plaisir ailleurs … des petits cadeaux, des heures passées à attendre sous une fenêtre, à rêvasser, à ne pas dormir la nuit …
C.F. : Qu’est-ce qui ne te déçoit pas ?
JLM : L’instant où je fais des chansons. Un instant très bref et passager. Mais les seuls vrais instants où il n’y a pas de déception, c’est avec la nature et les animaux. Dans le disque on se rend compte de tout ça : un lever de soleil, un souffle d’air frais, une fourmi, n’importe quoi, c’est l’émerveillement continuel. Avec les humains c’est la déception continuelle, c’est le mystère insondable de la femme qui nous ruine la vie. Mais la nature où les animaux, ça c’est extra, tu t’en lasses pas, tu parles … A part la nature, le reste c’est quand même des illusions.
C.F. : Et s’il devait y avoir une seule chose à bannir de tes chansons ?
JLM : Je ne vois pas vraiment ce que je cache. Toute ma vie sentimentale, toute ma vie sexuelle, mon passé sont dans mes chansons, il suffit d’avoir la bonne clé pour y entrer.
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« Les premières fois de … Jean Louis MURAT »
Propos recueillis par Juliette COPE en 1993
J.C. : Ta première vocation ?
JLM: Chauffeur de poids lourds. J’avais un copain dont le père traversait souvent le Sahara en camion. Ca me faisait rêver.
J.C. : La première fois que tu t’es dit « Je ne suis pas comme les autres » ?
JLM : Moi, j’étais programmé pour être, au pire paysan, au mieux, plombier-zingueur. J’étais le petit bouseux qui vivait chez ses grands-parents dans un village du Massif Central, et je n’avais pas vraiment d’amis à l’école. Un jour, en classe, le prof a demandé à chacun ce qu’il voulait faire plus tard. Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête mais j’ai répondu « acteur ». Je suis devenu écarlate, tout le monde a ri et, pendant six mois, j’ai culpabilisé à mort d’avoir dit ça. Mais c’est peut-être là que le sentiment d’une différence a commencé …
J.C. : Ton premier livre de chevet ?
JLM: Le Larousse. Je passais mon temps à le relire et à reproduire des planches … J’étais très bon élève. Je détestais le bahut mais j’ai vite compris qu’à l’école, pour s’en sortir, il fallait être le premier.
J.C. : Ton premier job ?
JLM : Le jeudi après-midi, j’apportais des tombereaux de fumier chez des voisins et ils me donnaient la pièce. L’ennui, c’est que, le reste de la semaine, je continuais à sentir la bouse de vache. Avec les filles, il y avait comme un problème : je ne pouvais pas en approcher une seule.
J.C. : Tes premières convictions politiques ?
JLM: J’étais maoïste tendance Led Zeppelin …
J.C. : La première fois que tu as eu envie de devenir chanteur ?
JLM: J’avais 23 ans, j’étais monté à Paris, je faisais du porte-à-porte pour vendre des encyclopédies littéraires et, la nuit, je fouillais les poubelles du seizième arrondissement avec un pote pour gagner un peu d’argent aux puces à Montreuil. Je suis allé voir « une femme sous influence » de Cassavetes, et ça a provoqué un déclic en moi. Du jour au lendemain, j’ai donné ma « dém », je suis parti en province et j’ai acheté une guitare. Depuis, je n’ai plus jamais travaillé.
J.C. : Ton premier amour ?
JLM: Adolescent, j’étais du genre rêveur, perpétuellement amoureux, qui écrit des poèmes et qui pleure en lisant des romans. Mais la première fois que j’ai vraiment eu la sensation d’aimer, de ressentir un complet sentiment d’abandon, ç’a été avec une certaine Françoise. Je l’ai revue il y a quelques années, et j’ai eu l’impression que, malgré les années, il y avait toujours quelque chose d’aussi fort entre nous. C’est pour elle que j’ai écrit les Amours débutants.
J.C. : Ta première expérience sexuelle ?
JLM: J’avais 15 ans, et j’imaginais l’amour comme une fusion nucléaire. J’ai été assez déçu, même si la fille était beaucoup plus âgée que moi et avait plus d’expérience. Peu de temps avant, mon grand-père, avec qui j’étais extrêmement lié, était mort. J’étais resté toute une nuit, seul, face à sa dépouille mortelle. Et cette expérience a dû précipiter mes pulsions. C’est comme si le corps froid du grand-père m’avait amené à m’épanouir sexuellement.
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Jean Louis MURAT nous parle de l’ amour
(fin 1993 … par un journaliste de sexe féminin)
Êtes-vous un séducteur ?
JLM : Chez moi, la séduction, c’est presque une déformation professionnelle. Un artiste est boulimique, il a envie d’en séduire un, puis deux, puis mille. Les gens attendent d’ailleurs de moi que je fasse la roue. Et comme personne n’est plus lâche qu’un chanteur de variétés, j’obtempère. C’est comme si l’on testait régulièrement la machine, c’est pathétique et idiot.
Vos armes ?
JLM : La stratégie est différente selon que vous voulez séduire une jeune fille, un homme ou une grand-mère. En général il faut être soi-même à 101%. Le but est de donner aux autres envie de vous prendre, dans tous les sens du terme : prendre en affection, en pension, en pitié ou prendre tout court.
Quel type de femme vous attire ?
JLM : Les brunettes, comme ma mère. Genre celles qui attendaient les Américains à la Libération : bas nylon, petites robes fleuries avec, on imagine, rien en dessous. On n’en trouve plus beaucoup à Paris. Voilà pourquoi je reste en Auvergne.
Etes-vous un bon coup ?
JLM : J’espère. je suis un aventurier du sexe consciencieux. Les aventures me plaisent énormément. Et en même temps je suis vraiment attentif au plaisir de l’autre.
Des trucs ?
JLM : Je ne me mets jamais dans la position de celui qui prend mais de celui qui se donne, le plaisir est bien supérieur. Je suis actif d’une façon féminine. On dit toujours que ce sont les hommes qui prennent les filles, mais, en réalité, c’est le contraire. Avec celles qui me plaisent, on passe directement à l’acte, on discute après. J’aime beaucoup l’intelligence de celles qui comprennent qu’avant tout est faux, biaisé, et que c’est entre les draps qu’on sait vraiment à qui on a affaire. Moi, si on ne fait pas l’amour dans les 24 heures, je switche.
Le plaisir féminin ?
Un éternel mystère. Je suis sûr que Dieu est une femme. La sexualité c’est le meilleur appel à l’intelligence, une expérience poétique et mystique à la fois. Dommage que les filles ne renvoient pas aux mecs les mêmes choses. Elles pensent souvent que la sexualité masculine est très primaire, alors que le plaisir du garçon est tout aussi fragile et sophistiqué que le vôtre.
Parlez-vous Q entre mecs ?
JLM : Les garçons ne disent jamais rien d’intéressant là-dessus. Je préfère parler avec une fille, la questionner sur ses préférences en matière d’odeur, de tissu, voire de température. J’ai deux ou trois confidentes à qui je raconte presque tout. J’essaie de susciter leur dévergondage, le mot bite est très excitant dans une bouche féminine.
L’homosexualité ?
JLM : Impossible, j’aime trop ce qui est féminin. Selon un rapport américain avant, 8% des femmes adoraient la sodomie, et elles sont maintenant 37%. Je suis atterré. Je trouve qu’il y a quelque chose de trouble de la part des filles de vouloir homo-sexualiser les hommes. Les gens n’ont pas assez de désir, ni de plaisir, ils se croient obligés de demander des choses spéciales.
La célébrité ?
JLM : J’aime séduire les filles qui n’ont jamais écouté mes disques.
La fidélité ?
JLM : Une punition. Je ne suis pas encore assez grand garçon, je balance toujours entre la mort (la fidélité, qui est pour moi comme rentrer dans les ordres) et la vie (la curiosité, la recherche de la nouveauté). Je renais à chaque fois que je rencontre quelqu’un d’autre. J’aime Marivaux, les « Mémoires » de Casanova. Mais cette inconstance, bien sûr, je la paye. Ma copine, avec qui j’étais depuis très longtemps, vient de me quitter.
Et vous acceptez qu’on vous trompe ?
JLM : Ah, non ! Je ne supporte pas que l’autre soit infidèle.
Le couple ?
Là, je suis hyper réac. Dans un couple, on s’emmerde forcément sexuellement au bout d’un ou deux ans. Le nombre de fantasmes et de positions n’est pas illimité. Donc, soit on fait comme ces couples typiquement années 80 qui continuent à baiser tout en s’emmerdant, soit on passe à un autre type de relation et on fait des bébés.
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Les Inrockuptibles n° 260
(Octobre 2000)
O. NICKLAUS …
Le grand-père de MURAT aura été un personnage essentiel dans la vie du chanteur. Il est un autre dont on parle très peu … je n’ai d’ailleurs jamais vu son nom imprimé sur aucun article … il s’agit de Monsieur OULOUHODJIAN.
L’article des « Inrocks » signé Olivier NICKLAUS intitulé : « L’attrape-coeurs » nous explique en détail l’importance de cet homme dans le parcours de MURAT :
JLM : J’ai voulu être pilote de chasse jusqu’à 15-16 ans. Et puis le père d’un copain avait un camion et traversait le désert : ça me plaisait bien. Je dois encore avoir ça en sous-couche dans mes rêves. A 15 ans; j’ai manifesté le désir de prendre des cours de guitare, je me suis fait jeter par mes parents. Ce n’est qu’à 20 ans que je me suis payé ma première guitare avec une méthode, et j’ai appris tout seul. Il a fallu que je sois adulte pour prendre les choses en main : je suis issu d’un milieu où on file droit, où on ferme sa gueule.
O.N. : Vous vous souvenez des premiers disques que vous avez achetés ?
JLM: Oui, ça a fait un scandale dans la famille. J’avais une cousine qui se mariait. Ma mère avait donné du pognon à mon père pour me descendre le samedi après-midi à Clermont Ferrand acheter une veste et un pantalon. J’ai fait une embrouille je suis allé dans un magasin de disques, et avec l’argent du pantalon ou de la veste, j’ai acheté « TUPELO BLUES de John LEE HOOKER » un « Janis JOPLIN » et le premier « TAJ MAHAL ».
O.N. : Pourquoi ces trois là ?
JLM : En troisième, j’ai rencontré un prof d’anglais avec qui j’ai beaucoup sympathisé. J’allais le soir faire mes devoirs chez lui. Il était homosexuel, mais il ne s’est jamais rien passé. Il était d’enfer comme mec. Il m’a un peu pris sous sa coupe. Il était Arménien, orphelin, récupéré à Marseille par un régiment américain. Il était un peu devenu la mascotte du régiment. A la libération, ils l’avaient emmené aux Etats-Unis où il était resté vingt ans. Là il était devenu pote avec des gens comme Louis ARMSTRONG. C’était un vrai révolté d’extrême gauche. Il faisait un an dans chaque bahut. Les gens déposaient une plainte pour qu’il soit viré. J’ai pu en profiter pendant une année scolaire, et là, il m’a tout fait écouter de Charlie PARKER au rhythm’n blues. Pendant que je faisais mes devoirs, il passait et il m’expliquait : là c’est COLTRANE, écoute bien la batterie, il me faisait lire des chroniques de jazz dans « Le Monde » etc …
O.N. : Seulement de la musique ?
JLM : Non, il m’a ouvert à tout. c’est lui par exemple qui m’a fait lire GIDE, CORYDON quand même, et ça n’a alerté personne, à commencer par moi ! L’avoir rencontré est une chance énorme, un miracle, et je me demande ce que je serais devenu sans lui, je lui ai écrit une très longue lettre qui m’a pris deux mois. En gros, je lui disais qu’il m’avait fait, alors que j’avais beaucoup de mal à imaginer ce qu’il y avait ailleurs que dans cette vallée de La Bourboule. D’un seul coup, il est arrivé avec des musiques, des bouquins, de la peinture. C’est un vrai pédagogue. Aujourd’hui il est mort.
O.N. : Vous vous êtes approprié tout son héritage, ou il y a des choses que vous avez laissées de côté ?
JLM: Il n’y avait rien à jeter. Il m’a emmené à des concerts de Memphis SLIM, de John LEE HOOKER justement, de T. Bone WALKER. Grâce à lui, j’étais back stage, on allait bouffer avec eux au resto. Il me faisait même préparer des questions. Je faisais des photos. Mon plus grand souvenir, c’est T Bone WALKER. Je me souviens avoir demandé à ce prof : « Mais pourquoi il a l’air si triste ? », et il m’a répondu : « C’est parce qu’il a laissé sa femme la-bas ». Ca m’a beaucoup conditionné sur ce qu’était le blues. J’étais vraiment comme de l’argile fraîche.
O.N. : Et le cinéma, vous l’avez découvert tout seul ?
JLM : Je suis un mec d’expérience. Par exemple, quand j’aimais le cinoche et que j’habitais à Paris, je tenais bien trois ou quatre films par jour, pas de blague. Je me faisais tous les LUBITSCH, et après je passais à TARKOVSKI, comme un étudiant, je n’ai pas fait d’études, donc je me mange des chapitres. Seulement le cinéma, je dirais pas que t’as vite fait le tour de la question, mais c’est quasiment mort comme art.
O.N. : Pourquoi plus le cinéma que la musique ?
JLM : Parce que plus vieux et plus limité. Par exemple, je trouve que le cinéma n’est toujours pas émancipé de la littérature.
O.N. : Ce qui devrait motiver pour aller plus loin ?
JLM : En attendant, que tu vois Woody ALLEN ou que tu penses à BERGMAN ou même TARKOVSKI ou même aux narratifs comme FORD ou KUROSAWA, c’est de l’architecture de roman de base du XIXè. Même ceux qui veulent aller plus loin. Même TRUFFAUT qui veut faire monts et merveilles, il finit par faire du AUTANT-LARA qui est du sous-BALZAC. Mais bon, le cinéma, j’ai beaucoup donné. A mon arrivée à Paris, j’ai regardé dans l’annuaire des cinéastes qui y étaient. Il y avait Claude SAUTET, je l’ai appelé, je suis tombé sur lui directement, on s’est vus, on parlait cinéma. J’ai écrit des papiers dans des revues de cinéma amateur. Maintenant, je ne vais voir que les films qui cartonnent.
O.N. : Pourquoi ?
JLM : Pour travailler. Là j’ai vu Gladiator. Je m’installe et je sais que je vais bosser pendant deux heures. Je refais la musique, je refais le montage, je recadre, je revois les dialogues. En général, je sors épuisé.
O.N. : Et pourquoi ne pas tourner vous-même ?
JLM : J’ai fait des courts-métrages, des clips, travaillé sur des scénars. Donc les chefs-d’oeuvre, je ne vais même plus les voir. Je m’ennuie : il n’y a rien à faire.Tourner un long métrage ? C’est un métier de chien. Je suis très ami avec Claire DENIS, et je vois qu’à la fin du travail, il n’y a pas beaucoup de satisfaction. Et puis, il faut bien choisir ».
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Dans cet article MURAT ne cite pas le nom de son prof … Trop difficile à prononcer ? Je ne pense pas. Il parle à nouveau de « son bienfaiteur » dans un papier de Joël METREAU toujours en 2000 . Murat aborde ce sujets en parlant de films « suggestifs » qu’il a pu voir jeune … le journaliste lui pose cette question : «
J.M. : Vous avez découvert ses films adolescents ?
JLM: Oui, au fur et à mesure. A l’âge de 15 ans, j’ai quitté la ferme de mon grand-père. Je me suis retrouvé interne au bahut, dans une toute petite ville de province. Là je suis tombé sur un prof assez exceptionnel, qui était homosexuel. Mon prof d’anglais. Il m’a pris sous sa coupe. Il m’a fait lire écouter des choses. c’est lui qui m’a fait découvrir GIDE, GORYDON, à l’époque, c’était interdit. On ne le trouvait pas.C’est le premier bouquin de GIDE qu’il m’a fait lire. Lui étant homosexuel, il était très libre. Moi j’ai été très rapidement au fait de l’homosexualité, ça n’a jamais été un problème. Il m’emmenait dans ses sorties avec lui. On allait au concert. Il ne se passait rien entre nous. C’était juste affectueux. Il me formait au monde. Mais au bout d’un an les gens ont fait une pétition au bahut, il a été renvoyé de l’éducation nationale.
J.M. : Vous n’avez pas cherché à le retrouver ?
JLM : Je l’ai revu une fois, une dizaine d »‘années plus tard. Ensuite j’ai fait des recherches en France et je n’ai jamais retrouvé sa trace ».
MURAT a cette phrase finale : « Il m’a vraiment appris que le monde était plus vaste que je le pensais ».
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Pendant les mois de Juillet et Août de l’année 2010, à mon tour j’ai fait des pieds et des mains pour retrouver trace de Monsieur OULOUHODJIAN … Ces contacts m’ont mené des services de l’éducation nationale aux responsables arméniens des villes de Paris – Lyon et Marseille. J’ai toujours reçu de la part des Arméniens un accueil amical et je les en remercie. Des recherches sont toujours en cours. A ce jour hélas, j’ai eu moins de chance qu’avec Isabelle LE DOEUFF … je n’ai pas trouvé trace de M. OULOUHODJIAN …
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« Le business a failli me tuer »
signé Denis CALVEZ
(extrait de « Jim » – période mars – avril – mai 2003)
Quand l’obstination tient lieu de talent …
Je dois vous dire que j’ai été bouleversé à la lecture de cet article … Attachez vos ceintures …
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Dans la première partie de l’interview MURAT s’attaque aux maisons de disques, aux fonds de pension … du rituel quoi … puis il nous parle de ses débuts :
« J’ai eu de la chance, un jour en 77, un pote qui était en taule a envoyé une cassette de CLARA, mon 1er groupe à Jean-Bernard HEBEY de RTL, et nous a écrit en disant qu’HEBEY avait passé un appel sur les ondes disant : »J’ai reçu une cassette géniale d’un groupe qui s’appelle CLARA, je sais rien d’autre, si vous en savez plus … ». Je monte en stop, je coince HEBEY à la sortie d’un studio, et il descend à LA BOURBOULE, imité peu après par William SHELLER. Et puis il nous organise un concert à RTL avec tous les pontes, il disait : « Ça y est, j’ai trouvé le nouveau TELEPHONE ! ». Ce pote taulard, quelques mois plus tôt nous avait organisé notre premier concert à l’hippodrome de LA BOURBOULE, avec 7 ou 8 grands groupes, ASPHALT, JUNGLE, BIJOU … Il avait fait monter tout Clermont ! C’est moi qui écrivais les chansons et qui chantais, je savais jouer trois accords. Je m’en souviens comme si c’était hier. Alain BONNEFONT , le guitariste, pète une corde, l’accablement l’atteint, il reste pétrifié et se met à pleurnicher, on se retrouve en trio avec le p’tit François qui en mettait pas une dans le panier et Jeannot qui arrivait pas à tenir le tempo … J’ai tout mis à fond et j’ai hurlé pendant une demi heure devant ASPHALT, JUNGLE et compagnie sidérés. C‘étaient les débuts du rock’n roll en Auvergne ! On répétait dans un buron avec un groupe électrogène, c’était sensationnel ! Quand il y avait la pleine lune on répétait dehors, sous le ciel étoilé. Les mecs, raides défoncés montaient de LA BOURBOULE pour nous voir (Il n’y avait même pas de chemin, tu traversais un ruisseau et tu montais dans les prés) se couchaient dans l’herbe … Tout le monde partait vers 9 heures du mat’, on arrêtait quand iln’y avait plus de jus dans le groupe électrogène. Six mois après, il y avait quatre groupes à LA BOURBOULE, pour 1500 habitants ! On avait une foi pas poss’ ! On faisait des concerts destroy, je branchais le public, c’était tout nouveau, tout neuf, on ne faisait aucune concession ».
C’est à ce moment là qu’EMI propose un contrat à Jean-Louis … et à lui seul, ce qui crée vite des dissensions au sein de CLARA qui ne tarde pas à imploser. En 1980, MURAT signe et apprend vite à connaître les lois de l’industrie musicale.
« Mon 1ère 45 tours « Suicidez-vous le peuple est mort » est disque de la semaine sur « Europe I » EMI prend des pubs sur les Champs Elysées, avec moi sur la première photo de MONDINO … Et là, une nana fait une tentative de suicide en écoutant la chanson ; son père débarque à Europe I et menace de tirer dans le tas avec son fusil, s’ils continuent à la passer. Hop ! Je redeviens tricard, retour à LA BOURBOULE dans une dèche effroyable. Après (en 1984)je fais « Passions privées » à RIOM avec des musiciens et des techniciens de CLERMONT. EMI trouve ça à chier, mais Charlélie COUTURE l’entend, trouve ça génial et nous emmène en première partie de sa tournée d’été ! Il jouait comme un avion sans aile tous les soirs devant 5000 personnes ! Mais EMI qui n’avait pressé que 1000 disques et refusait de payer les affiches, me rend mon contrat le 15 août. J’avaois fait 15 concerts avec Charlélie, l’album avait eu une demi page dans « Télérama » … et je me retrouve dèche complète, obligé de quitter la tournée ! Je rentre, dépression, 15 jours de CHU … j’en suis sorti in-extremis, ça failli me tuer. Départ en Suisse, en stop, pour aller faire les vendanges, les pommes … Et maintenant je me retrouve chez EMI … Des fois on dit : » IL est vachement acerbe, qu’est-ce qui lui va pas ? » Chier ! 50 fois je me suis dit que j’arriverai pas à trouver la foi, parce que t’en prends plein la pipe ! »
Mais comme d’habitude, l’amateur de belles lettres, particulièrement celles de Jim HARRISON, d’Arthur RIMBAUD et William BURROUGHS se remet vite au boulot. Il enregistre tout seul à CLERMONT, dans une petite pièce, la « Démo » d’un autre album « Cheyenne Autumn ».
« Pendant trois ans je suis monté en stop à Paris pour la proposer aux maisons de disques, et personne n’en voulait. Je montais, je me faisais jeter, je redescendais. Au bout de cinq allers-retours pour autant de refus, je m’écroulais et repartais à l’attaque. J’avais gardé une dernière cartouche « Virgin ». J’appelle Philippe MANOEUVRE , de « Fluide Glacial », je lui demande si je peux appeler de sa part, il me dit : »Te gêne pas ». J’appelle « Virgin », ils me prennent pour MANOEUVRE et me passent Fabrice NATEF, le directeur artistique. Coup de bol : il en parle à sa nana qui adorait « Suicidez vous le peuple est mort ». Sans ça il m’aurait jamais reçu. Il décide de ma faire enregistrer un 45 tours : »Si je devais manquer de toi », me met des musiciens de chiotte, alors je réenregistre en un jour avec Denis CLAVAIZOLLE. Deuxième coup de bol : Bruno BAYON de « Libé », entend ça, descend à LA BOURBOULE et me fait 4 pages ! les radios le passent, j’en vends 70000 en deux mois.,ouf ! On fait un 2ème 45 tours avec Denis « le garçon qui maudit les filles » et « Virgin » me laisse faire un album. Je sors enfin « Cheyenne Autumn » (en 1989 futur disque d’or) et me retrouve aux Victoires de la Musique … où je refuse d’aller sur les conseils de SOUCHON qui me dit que ce n’est pas pour moi ! Mais tu vois, je suis passé près, dingue ! Il arrive un moment où l’obstination tient lieu de talent. Chaque fois qu’on nous jetait, je pouvais pas tenir, à peine sorti de la pièce je revenais voir le mec et lui disais : »Pauvre petit connard, tu vois mon nom, t’as pas fini d’entendre parler de moi. J’t'emmerde triple con! » Ben ouais, mais si j’avais été comme le veau qui va à l’abattoir, je ferais autre chose. Je sais pas où j’ai tiré l’énergie pour continuer de cravacher, c’était l’énergie du désespoir, n’importe qui aurait laissé tomber 10 fois. Heureusement, j’étais assez équilibré, les drogues dures et tout ça no way, j’avais des espèces de valeurs artisanales ».
Jean-Louis MURAT sait que sans ces coups de pouce, il aurait plongé pour de bon, lui qui n’était même pas aimé à CLERMONT FERRAND sa ville natale.
« Pierre-Yves DENIZOT (patron historique d’Arachnée concerts) a été le seul à nopus soutenir. Il a mis CLARA en 1ère partie de ‘MOTORHEAD », dans un Palais des Sports bourré, il en avait rien à foutre. Pour LAVILLIERS, idem, dès la première note le public nous hue, on enchaîne, je les traite de tous les noms, de cul de plomb, de public de merde, dans une ville de merde, et on part sous les quolibets et sous les canettes de bière. Pierre-Yves avait du courage ! Plus tard, quand on a enregistré « Passions privées » à RIOM, on était le premier truc d’ici à sortir, mais à part Pierre-Yves qui nous a fait faire quelques concerts, ici y a rien eu derrière, pas une salle, pas une proposition … On galèrait à donf ! On faisait des concerts surprises, on se faisait jeter de partout. Les gens de CLERMONT ne pouvaient pas saquer ce groupe de LA BOURBOULE, il y avait une guerre entre les groupes. Après que j’ai signé avec une maison de disques, j’étais tricard pour tout le milieu Clermontois, j’étais l’enculé qui avait signé avec le diable. Je passais à la radio, j’étais de la merde, et je le suis resté pour tous ces gens là ».
A défaut de reconnaissance locale, celui qui n’a jamais quitté très longtemps les environs de LA BOURBOULE est devenu une valeur sûre de cette chanson Française qu’il conchie allègrement. Pourtant, au bout de 20 ans de carrière, il trime encore pour imposer sa musique.
« Chez « Virgin », je suis le seul à les faire chier, pour faire des disques tous les neuf mois. Et quand je dis à mon boss, qu’il écoutera pas le disque avant la gravure, il me dit rien. Mais si j’ai cette confiance et cette indépendance c’est pas pour rien : je gère mon budget, je choisis les studios, je trouve des musicos, je m’achète le matos, je fais mes prises de son, je mixe …Le problème avec cette façon de faire c’est que tu te mets la pression, ça t’oblige à assurer. Moi, je bosse 365 jours par an, huit heures par jour, je travaille tout le temps … Avec Laure (sa femme) … quand on est parti à New York pour enregistrer « Mustango », on est passé 501 fois à côté de la cata, mais il fallait tenir. Trouver les musicos, aller voir le concert et tenter d’accrocher le mec avec mon disque » …
« 600.000 balles, 70% de mon budget partent en studio et en charges. Il m’en reste 150.000 pour faire de la musique, 16 titres. Et on me compare aux Bashung tout ça qui ont 2 millions de francs ! Je me retrouve avec un budget de misère … Pourquoi ? Parce que je ne vends pas assez en France. Le point zéro est à 100.000 ventes, ahurissant ! C’est à peine ce que j’ai fait avec « Mustango » et pour le « Moujik’ … j’en suis à 75.000. Les coûts ont tellement augmenté ! D’abord le coût du travail … Ensuite les studios … Le fait d’être provincial me coûte une fortune, parce que tous les studios sont à Paris … J’ai essayé d’enregistrer en province c’est un vrai cauchemar. L’éloignement me coûte 20% de mon budget ».
Surprenant tout de même qu’un artiste de cette stature doive aller au charbon pour grignoter un peu d’argent et de liberté.
« J’ai fait le choix. Je pourrais prendre un manager qui me prendrait 10% de mon budget. Je préfère négocier moi-même. Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre ? Je suis obligé d’avoir continuellement cette attitude avec le business, sinon je l’ai dans le cul ».
On comprend un peu mieux pourquoi l’attachant Jean-Louis MURAT reste l’emmerdeur de service. Et qu’il assure si bien son nombrilisme.
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(Nota: Tout ce qui est en gras est dit par JLM … ce qui ne l’est pas est de la plume de Denis Calvez pour Jim/2003)
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TELERAMA
(n° 2896)
propos recueillis par Philippe BARBOT le 14 07 2005
Philippe BARBOT …
Dans cet article le journaliste invite MURAT à parler des « héros » qui l’ont inspiré. Je n’ai pas touché une virgule du texte, me contentant de faire ressortir en gras les éléments qui me paraissent essentiels:
« J’ai toujours été fasciné par l’univers des chevaux, de la chevalerie. Western, cape et épée… Une passion qui me vient de ma petite enfance. Je suis persuadé qu’on n’échappe pas à sa préhistoire, ce quelque chose d’enfoui, d’avant soi, insaisissable, étrange. J’ai été élevé chez mes grands-parents en Auvergne, entre deux restes de châteaux forts, on prétendait même qu’un mystérieux souterrain les reliait. Aujourd’hui encore, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a en dessous, ce qui est enfoui, les cavités, les sources. Sans le savoir, on piétine peut-être des milliers de Lascaux ou de chapelles Sixtine…
Aymerigot Marchez le brigand légendaire
Ma grand-mère était un peu sorcière, elle connaissait des incantations secrètes pour arrêter les orages ou les incendies, elle disait qu’elle avait rencontré le Diable. Dans le village où je passais mes vacances, on racontait qu’un brigand légendaire, une sorte de Robin des bois local nommé Aymerigot Marchez, avait jadis enterré un trésor. Tous les étés, avec les copains, on allait à la recherche de ce trésor caché. J’ai grandi dans cette ambiance de mystère et d’aventure. Aujourd’hui encore, elle m’accompagne et m’inspire.
Quand j’ai enregistré mon premier 45 tours, Suicidez-vous, le peuple est mort, en 1981, la maison de disques m’a demandé sous quel nom elle devait le publier. J’ai répondu que je voulais m’appeler Aymerigot Marchez, le brigand de mon enfance. Evidemment, ça m’a été refusé… Alors j’ai choisi le pseudonyme de Murat, à cause d’un village auvergnat, mais surtout du maréchal d’Empire.
Joachim Murat le guerrier élégant
Un sacré personnage : grand, 1,81 mètre, beau, brun aux yeux bleus. Un voyou à la malice gasconne, mais surtout un guerrier extraordinaire, élégant, arrogant, une sorte de Ziggy Stardust napoléonien, de cow-boy impérial, avec un look spectaculaire, toujours entre femmes et festins. On raconte que sur les champs de bataille il se faisait suivre par une caravane de chariots remplis de fringues. Lorsqu’il est entré à Rome, il s’était fait confectionner un costume délirant, à l’orientale, avec des plumes et des dorures, qui avait nécessité le travail de cinquante couturières. Il pouvait changer de costume deux ou trois fois au cours d’un même combat. On s’arrêtait pour le regarder passer… Ce qui ne l’empêchait pas de se trouver toujours au coeur de l’action, là où ça chauffait le plus. Sabre au clair, il a participé à toutes les campagnes napoléoniennes, Italie, Egypte, Allemagne, Russie. Joachim Murat était le meilleur cavalier de son temps, descendant des Mourads, les guerriers arrêtés à Poitiers par Charles Martel. Ça ne l’a pas empêché de se laisser manipuler par son épouse, la très belle et très ambitieuse Caroline, soeur de Bonaparte, qui refusait de se contenter du royaume de Naples. D’où ses divers ralliements et trahisons, entre Napoléon et Louis XVIII, qui ont fini par provoquer sa perte. Lorsqu’il est mort, fusillé en Calabre en 1815, il a dirigé lui-même le peloton d’exécution. Un moment, il avait pensé se réfugier en Amérique pour s’y tailler un royaume : Murat, roi de Californie, ça aurait eu de l’allure…
Jean-Louis Bergheaud l’autodidacte dangereux
Donc, je m’appelle Jean-Louis Murat. Pour l’état civil, c’est Bergheaud. J’avais un ancêtre, un héros de la famille, qui était un zouave de la guerre de 14-18, un héros ultra décoré. Mais je ne sais toujours pas qui je suis vraiment. Pas étonnant que les gens aient du mal à m’appréhender. J’ai la réputation de quelqu’un de dangereux, une sorte de misanthrope parano qui dit du mal de tout le monde. En fait, je suis atteint de schizophrénie productive. Je suis aliéné à ma langue, façonné par ma culture. J’aime les formules assassines, j’essaie de faire preuve de créativité langagière, que ce soit dans mes chansons ou dans mes interviews. Pour un bon mot, je suis prêt à déclencher une guerre mondiale ! Ma machine inconsciente crache des mots et n’a aucune limite, je suis capable de dire des trucs effroyables. La dimension morale de la langue m’échappe complètement. Je ne suis ni sévère, ni jaloux, ni amer, juste un autodidacte qui pense que les choses doivent être dites. J’ai toujours voulu être poète. La poésie, c’est typiquement incorrect. Baudelaire, Rabelais sont des auteurs incorrects. La poésie, c’est faire cracher toute sa beauté au Mal. Mais aujourd’hui, elle est devenue une langue étrangère perçue par une minorité, comme le patois auvergnat de mon enfance. Le travers majeur de l’époque, c’est qu’il faut toujours montrer une belle âme, être poli, bien-pensant. Par exemple, on ne peut plus faire le bègue ou prendre l’accent africain sans se faire taxer d’ignoble raciste. En fait, ce sont les âmes laides qui dirigent le monde, en se faisant passer pour de nobles coeurs. Comme tout le monde, j’ai une face sombre, au moins 50 % de mon individu, mais je ne cherche pas à la dissimuler.
Lance Armstrong le chevalier du Tour
J’ai du mal à me situer dans ce qu’on appelle le monde de la chanson. Elle ne fonctionne, comme le cinéma, que sur la nostalgie collective. Les Choristes, Amélie Poulain ou le jazz manouche, c’est la même imposture. Pour moi, le grand art en chanson serait de ne pas écrire pour les esprits fins et délicats. Je me sens plus brutal que délicat. La finalité de mon job de chanteur, c’est d’être populaire. Je me sens en porte-à-faux avec ça. Je ne suis pas démocrate, je ne crois pas à un collectif de la médiocrité. Je suis persuadé que si l’on se laisse aller à la facilité, il faudra tôt ou tard en payer le prix. Le plus grand laisser-aller que je m’autorise, c’est, parfois, d’être obscur. Mais, je crois que c’est Nietzsche qui a dit ça, un esprit de premier ordre ne doit jamais avoir peur d’être ennuyeux.
Pour moi, vivre, c’est écrire. J’écris par volonté de rejeter le plus loin possible tout ce qui veut mourir en moi. Je hais les forces de mort partout en action. Le seul remède pour moi, c’est d’être excessif, de faire de l’excès un art de vivre, un combat contre les faux-semblants et l’hypocrisie.J’ai la nostalgie d’un temps où l’on se battait pour l’honneur. Aujourd’hui, quelqu’un comme Lance Armstrong personnifie ces valeurs, courage, droiture, bravoure. Rien que son prénom, Lance, évoque l’époque de la chevalerie. Quand il chevauche son vélo, on dirait Lancelot dans les Pyrénées. Une véritable épopée. Deux siècles après Joachim Murat, il est l’un des derniers guerriers ».
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« Femmes d’Aujourd’hui »
Interview de Jean-Louis MURAT par Nicolas BALMET
(n° 47 – novembre 2006)
Dans cette interview au profit d’un magazine Belge … il ny a rien à jeter. C’est pourquoi je l’ai reprise dans son intégralité sans y toucher un bouton de guêtre ….
Nicolas BALMET …
«Passer cinq minutes avec mon enfant, c’est bien supérieur à toutes les tournées de la terre.»
Ses apparitions télé tonitruantes font plus de bruit que ses disques. Mais derrière le personnage provocant, se cache un homme qui n’a tout simplement pas envie de se frotter au showbiz.
- Plus d’une année sans faire de disque, pour vous, c’est long.
Oui. Je suis devenu papa à nouveau et j’ai décidé de m’occuper de ma fille pendant un an. Je suis resté chez moi, avec elle. Je suis complètement ébahi depuis deux ans. Observer l’enfance, c’est magnifique. C’est pour ça que je me suis arrêté. Les tournées, les voyages, etc. Parfois, quand je revenais après trois semaines, elle avait l’air de se demander qui j’étais… C’est là qu’il faut dire stop. - Cela vous a aussi permis de peaufiner vos chansons. Le résultat vous satisfait-il davantage ?
Je suis assez pragmatique. La satisfaction vient beaucoup des ventes. Ce n’est pas du cynisme exagéré, mais je garde à l’esprit qu’il faut faire des disques pour bouffer. Je n’aime pas trop le fantasme sur la créativité artistique. Je ne fais rien d’exceptionnel. C’est juste de l’artisanat. Mais comme j’écris tout le temps, j’ai des tas de chansons qui traînent et il arrive un moment où je rentre en studio en choisissant parmi mon stock.
- La paternité n’est pas du tout évoquée dans votre album. Pourtant, la plupart des chanteurs qui font des bébés font des chansons sur eux…
Non, non ! Cela ne rentre pas en ligne de compte. Ceux qui font ça, c’est de la blague. En plus, franchement, je suis sûr que ma fille n’aimerait pas cela. Elle a 2 ans et demi et elle a déjà un caractère bien trempé. Non… Cela ne lui plairait pas.
- Votre rythme de vie habituel ne vous a pas manqué.
Oh non… Passer cinq minutes avec mon enfant, c’est bien supérieur à tous les concerts, toutes les tournées et tous les disques de la terre. Même six millions d’albums vendus n’y changeraient rien.
- Parlons de vos confrères. Vous n’êtes pas très gentil avec eux…
Pfff… Ouais. C’est marrant, tout ça. Mais vous, en Belgique, essayez de prendre un peu de recul. Dites-vous que c’est juste une façon d’être contre la réalité française. Je me sens moyennement Français. Lors de la finale France/Italie, j’ai mis le maillot italien. En plus, les Français jouaient comme des tafioles. Mais soit. Dans le milieu musical français, je trouve qu’il y a un problème de lucidité sur ce tout petit qui est la France et sur sa production artistique, qui est très faible. Comparer « Machin » ou « Truc » à Frank Zappa, c’est n’importe quoi. Quand je lance des piques, c’est un peu une façon de dire aux journalistes « C’est bon, calmez-vous et regardez la production française de disques sur une année ». Heureusement qu’il y a Camille: il n’y avait plus eu un bon disque en Français depuis au moins dix ans.
- Vous êtes dur, là…
Mais non! Il y a un fonctionnement corporatiste de la musique française. On n’a pas le droit de dire que « Machin », c’est pas terrible. Je pense qu’il faut savoir être à la hauteur de sa discothèque et de sa bibliothèque, et dire ce qu’on pense. Il y a encore des Français qui pensent que Bob Dylan, avant de rentrer en studio, écoutait ce qui se faisait en France pour savoir ce qu’il devait chanter… Dernièrement, j’ai lu que les cuivres de Bénabar faisaient beaucoup penser à Otis Redding. Ça me sidère et ça m’énerve, ce microcosme d’artistes et de journalistes qui pensent que le cour de la musique bat à Paris.
- En même temps, la provocation reste une marque de fabrique, non?
Ben oui… Aujourd’hui, la plupart des journalistes me font chier avec ça, mais je vais vous dire un truc : c’est juste de la provoc’ à trois balles. Du coup, balancer des vacheries, c’est un peu la pire chose que je fais le mieux. Et ça m’amuse. Il y a peut-être même un côté revenchard: moi qui vient du fin fond de l’Auvergne, pendant dix ans, je me suis fais jeter de toutes les maisons de disques parisiennes. En plus, je connais des dizaines d’auteurs-compositeurs remarquables qui n’intéressent personne et qui déchargent des camions huit heures par jour. Mais Vincent Delerme, s’il n’était pas le fils de l’autre, il n’aurait jamais fait un disque. Idem avec Charlotte Gainsbourg. Sur ce sujet-là, je m’énerve réellement…
- Vous avez dit: la chanson française n’a aucun avenir.
Je disais surtout ça par rapport à la langue française. Je pense quand, dans le jeu international des langues, la langue française a son avenir derrière elle. C’est un fait historique. Dans tous les discours ou les chansons, aujourd’hui, un mot sur deux est anglais. Cette une langue qui a mutiné, puis décliné. Quand ma fille sera plus grande, j’espère qu’elle ira apprendre l’Anglais ou le Chinois. Je pense qu’on ne peut pas miser l’avenir de nos enfants sur la langue française.
- Cela implique que vous ne fassiez pas partie de l’avenir…
Bien sûr. De toutes façons, vous comme moi, on ne fait pas partie de cet avenir. L’homme et l’humanité vont évoluer vers quelque chose de beaucoup plus élaboré. On sent bien qu’on va manipuler les corps et les consciences. On sera bientôt des dinosaures. J’ai été élevé au pis des vaches, dans une maison sans eau courante et on n’avait pas de bagnole… Alors quand je vois Manhattan ou Tokyo, je vois déjà la distance qui a été parcourue. On va inévitablement basculer dans une autre définition de l’homme.
- C’est la vision d’un monde un peu « déshumanisé »… Pourquoi faire un enfant?
(Il réfléchit). C’est la question qu’on se pose chacun. Mais chacun a une réponse différente. Je ne sais pas… Quand on est bien avec quelqu’un et qu’on est amoureux, on a envie de faire des enfants… Et attention, ma façon de voir l’avenir n’est pas forcément négative: elle est objective.
- De quoi parlent vos chansons?
Elles parlent de ce que j’ai vécu durant l’année 2005, notamment le décès d’un ami et de la meilleure amie de ma femme. Mais je parle de la mort très sereinement, car le fait d’être à nouveau père m’a ouvert les yeux. Quand vous allez à la maternité, vous ne vous dites pas que la morgue se trouve juste à côté, mais c’est pourtant le cas. Et quand ma fille est née, je me suis dit qu’elle me verrait mourir, qu’elle me fermerait probablement les yeux. Mais ce n’est pas sombre, c’est comme ça.
- Discret et mystérieux sont les mots qui reviennent le plus souvent dans les médias pour vous décrire. Cela vous convient ?
L’image que l’on projette est rarement celle qui nous correspond. Mais bon. Discret, oui, évidemment. Ténébreux aussi. Il faut rajouter grande-gueule ou orgueilleux. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que je suis quelqu’un d’attentionné. Je pense aussi être bien élevé et tendre. Je suis un ami sur lequel on peut compter. A l’inverse, j’ai un tempérament colérique : je peux exploser et dépasser les bornes assez facilement.
- Et quels sont les traits de caractère que vous n’aimez pas qu’on accentue ?
Le côté prétentieux. Car je suis tout le contraire. Mais souvent, on agit à l’inverse de ce qu’on est. Les gens qui me connaissent le savent : je suis timide. En fait, j’ai l’arrogance des timides, c’est typique. Mais bon… Même dans ton quartier, il y aura toujours des gens qui te prendront pour ce que tu n’es pas.
- Vous avez dit : je suis un artiste assez féminin. Quelques éclaircissements ?
Comme tous les artistes, on commence à devenir intéressant quand on laisse le pouvoir à notre part féminine. La créativité exige les deux, j’en suis persuadé. La preuve : on dit souvent qu’on a « accouché » d’un disque, cela fait appel à quelque chose de féminin que l’on a en nous. Regardez. La plupart des grands artistes qui ont traversé ce monde sont homos, par exemple. Michel-Ange, Leonard de Vinci, Shakespeare… Ils avaient en eux une part féminine immense.
- Sur chacun de vos albums, sans exception, il y a une voix féminine qui intervient.
Ben oui, voilà ! J’ai besoin de donner une voix à mon « moi féminin ».
- Quelle place occupent les femmes dans votre vie ?
La place numéro un. De ma grand-mère à ma fille, en passant par ma mère ou ma femme, je les aime toutes. Je ne vis entouré que de femmes. Mon manager aussi, c’est une femme. Je m’entends beaucoup mieux avec les femmes qu’avec les hommes. On dirait que je les comprends mieux.
- Vous vous posez des questions sur elles ?
Non. Je ne les vois pas du tout comme un mystère. Je suis le genre de macho qui n’a absolument pas peur des femmes. Au contraire, elles m’attirent et ne m’ont jamais effrayé. Je suis un macho à l’ancienne, et cela ne me pose aucun problème. Je les aime toutes, du berceau à la mort.
- Le passage par la télévision pour la promotion de Taormina vous enthousiasme-t-elle?
Le monde tourne d’une telle façon que, si tu ne vas pas à la télé, tu ne vends pas de disques. Et ma liberté, c’est mon chiffre de vente. Mais en soi, la télévision ne me dérange pas. Ce sont les gens qui y travaillent qui m’énervent. Les questions débiles des animateurs, qui ont une idée totalement méprisante des gens qui les regardent. Donc, bien souvent, quand j’y vais, ça se passe mal. Chez Stéphane Bern, c’était une catastrophe (Charlotte de Turckheim s’en souviendra longtemps, après que Jean-Louis Murat lui ait lancé un « toi, je t’emmerde » dès sa première phrase, NDLR)…
- Dans quelle émission cela pourrait bien se passer ?
(Longue réflexion). Au journal télévisé, avec Claire CHAZAL. En plus, je sais qu’elle me connaît bien…
- Aucune réconciliation n’est possible avec toutes les autres ?
C’est impossible. Je suis « démarié » avec tout ce milieu du show-business, de la télévision ou de la promo. Pour moi, ce sont des conneries. C’est même la honte. Je ne laisse même pas mes enfants regarder la télé, car je me considère comme responsable d’eux. Et je crois qu’il faut se définir soi-même une ligne de conduite pour pouvoir leur en définir une. En tant que père, je suis conscient qu’il faut mettre un barrage entre la cruauté du monde et l’innocence des enfants. Il faut un filtrage, et la télé n’en met pas. Les parents doivent être des éducateurs, dans le sens premier du terme.
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Rien à jeter … je vous l’avais dit. On y retrouve :
- le papa de Justine tellement attentionné !
- l’homme révolté
- l’homme amoureux
- le provocateur
- le timide
Dans 20 ans on dira peut-être … « En plus d’être un poète … MURAT était un visionnaire » …
On le dit pessimiste et si ce n’était que de l’objectivité ??? Il le dit lui-même d’ailleurs pour une partie de son discours … Je ne suis pas loin de penser qu’il a raison sur … davantage de points encore … La place du Français dans le monde … On y est déjà ! Cette comparaison entre l’enfant élevé au pis de la vache et celui qui regarde les buildings de Manhattan … c’est fou … c’est … lucide … tellement lucide … A vous donner froid dans le dos !
Et si c’était lui qui avait raison ???
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- CHORUS n° 84 – Automne 2002 -
(Interview de Jean-Louis MURAT par Jean THEFAINE)
THEFAINE, Jean …
Jean THEFAINE, pour le compte de « CHORUS » rend visite à MURAT , chez lui, en Auvergne. Nous sommes en 2002. Tous les aspects de la jeunesse et de la carrière de MURAT sont abordés par le critique Breton. Il en résulte une interview fleuve. Beaucoup d’aspects de la vie du Brenoï ayant déjà été évoqués dans ce Blog, je vais me borner à ne mettre en évidence que les aspects spécifiques peu ou pas abordés dans d’autres articles. Je ne vais donc mettre en exergue que … ce que je ne connaissais pas ou peu. Et vous verrez ce n’est pas rien … C’est dire la densité de ce reportage, où à mon sens, MURAT s’est livré comme jamais … Merci Monsieur Jean THEFAINE …
MURAT nous parle de sa nouvelle passion … la peinture … je laisse le journaliste et JLM en tête à tête :
Titre : « Travaux de peinture ».
« J’aurais connu un peintre quand j’étais gamin, je crois que j’aurais fait ça. J’ai toujours tourné autour de ce monde là. Les beaux arts et les expos m’ont toujours branché. Je me demande si ce n’était pas ma vocation plutôt que la chanson. Ça me plait au-delà de tout ce qu’on peut imaginer … »
La rencontre de Laure … « fille de peintre » elle-même, provoque chez MURAT, il y a 3 ou 4 ans, le passage à l’acte. Depuis, c’est devenu une passion qu’il pratique régulièrement. Dans sa retraite auvergnate bien sur : « Comme tu vois, je suis envahi par les produits de peinture. Dès que j’ai un moment, je m’installe dans cette pièce, à l’arrière de la maison, ou dehors s’il fait beau ». A MANOSQUE également, où il a loué une maison dans l’arrière pays. « J’aime la lumière de la Provence. Ici on n’a que des verts. La-bas, il y a des jaunes, des bleus … Ça me plaît bien de savoir que je peux y aller, quand je veux. En une heure, je peux me décider et filer ».
De MANOSQUE MURAT dit encore : « On n’y a pas atterri par hasard. Plusieurs fois on y avait déjà traîné. L’un des trucs que j’aime la-bas, c’est que contrairement à mon coin d’Auvergne où elles ont disparu il y a encore des hirondelles. Je passe des heures et des heures à observer leurs acrobaties qui me fascinent ».
La peinture, MURAT la pratique en autodidacte : « J’achète des bouquins et je fais. Dix heures d’affilée parfois. J’essaye tout … Je regarde ce qui marche et ce qui ne marche pas. Exactement comme dans la musique (Moqueur). Si tu penses que, jouer de la guitare, c’est savoir la méthode à Dadi, autant arrêter les frais tout de suite ! En art c’est pareil. Apprendre de façon scolaire, je n’en n’ai rien à foutre… ».
Les peintures qu’il aime particulièrement ? … « Tous, parce qu’ils peignent tout simplement. Quand je vais dans les musées, j’ai l’impression de ne voir que des chefs-d’oeuvre. Je ne peux pas avoir de préféré, parce que, pour moi, ce sont tous des génies. Mes goûts vont de GIOTTO à POLLACK. Je comprends bien, me semble-t’il, ce qu’est la peinture, ce que ça demande comme qualités ».
« Par rapport à l’écriture c’est bien plus ! Bien plus physique, bien plus intelligent, bien plus subtil, bien plus animal. Bien plus sexuel aussi. Dans un ouvrage qui vient de sortir sur RENOIR, l’auteur cite une lettre où ce dernier dit : »Il faut que ça baise! ». Il y a aussi cette anecdote de PICASSO à qui – je crois que c’est LEIRIS – on proposait d’intervenir dans un colloque sur le thème peinture et sexualité et qui a répondu : « Ah bon, ce n’est pas la même chose ? ». Cette intensité tu ne l’as pas avec la chanson. Et ça me plaît ! (rires).
« Quand on m’interroge sur ce que je fais, je dis toujours que c’est classé X. Celà dérange même mes copains. Avec ma mère qui m’a demandé à voir, j’ai dit … Ah non maman … (nouveau rire). C’est sexuel, c’est vrai, mais c’est comme ça que je vis la peinture. Tous les peintres sont des obsédés je crois ».
Ne lui parlez pas d’exposition : « Aucun intérêt je suis auteur-compositeur interprète et je ne sortirai pas de ce job ». (Il montre des paquets adossés au mur) : « Mes travaux, comme tu vois, je les emballe ! ».
Voilà pour la première partie de cette interview qui n’aborde que l’aspect pictural de l’oeuvre « Muratienne » … J’ai appris beaucoup de choses … MANOSQUE … les hirondelles … ça suffit à mon bonheur pour ce soir …
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En préambule de cet article reportage, voici le portrait que nous dresse Jean THEFAINE de l’artiste Jean-Louis MURAT :
« Jean-Louis MURAT est un sac de noeuds, une pelote d’épingle, un casse-tête chinois, un puits de contradictions, une énigme. N’empêche. L’ombrageux auvergnat à la voix de nuit cosmique, s’est construit en vingt ans une oeuvre aussi singulière qu’importante. Un fleuve de chansons qui, côté textes, roulent une poésie luxuriante, inventive charnelle, spontanée et chantournée à la fois. Tentative de fusion entre la libre parole des troubadours du Moyen-Âge, les fulgurances rimbaldiennes et la saveur terrienne des bluesmen du delta. « Je suis l’enfant caché de John Lee Hooker » rigole MURAT, histoire d’expliquer son ancrage dans une certaine musique américaine inoxydable, plutôt que dans la famille chanson française avec laquelle il prétend ne se sentir aucune affinité. Une musique impossible à dater, comme l’âge exact du capitaine, qui rentre son périscope dès qu’on tente de lui faire décliner son état-civil : « J’ai pris dix ans au démarrage. Tout le monde avait déjà fait trois tours … Il faut que je rattrappe le temps perdu ! ». Point barre.
Difficile parcours, c’est vrai, que celui du gamin BERGHEAUD, né à l’orée des années 50, dans une famille explosée, dont il traîne encore à ses chansons des restes de fumerolles douloureuses. Merci à Bruno BAYON, de Libé, d’avoir rattrappé par les cheveux le chanteur MURAT qui se noyait littétalement, après un départ chaotique. MURAT le ténébreux, MURAT l’envoûteur, MURAT l’illusioniste, MURAT l’alchimiste, MURAT l’emmerdeur, aussi. L’imprévisible imprécateur qui, dans le même mouvement peut flirter avec l’émotion la plus nue et balancer un déluge de feu sur un métier auquel il ne pardonne pas son manque de clairvoyance et d’audace. On donnerait pourtant le Bon Dieu sans confession à ce bougre d’ours, aussi charismatique que mal léché lorsqu’il explique : « Je suis assez facile à vivre comme garçon. Mais, pour plein de raisons, qui remontent sûrement en partie à l’enfance, je n’ai aucune confiance en moi. Alors, quand je ne me sens pas à l’aise, je deviens facilement arrogant. J’en fais des tonnes. C’est con, je sais. Mais je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour conjurer la trouille. En conséquence, je me traîne une réputation de prétentieux, en fait, c’est de la timidité mal maîtrisée ».
Qu’on se le dise : MURAT n’est pas l’infréquentable qu’on croit. Joyeux déconneur pour ses potes Rancheros, avec lesquels il dynamite une certaine chanson populaire française qu’il abhorre, fêtard flamboyant ou solitaire contemplatif, selon le jour et l’heure ; sportif pratiquant, accro du foot et du cyclisme; généreux donateur avec les DOLOS (une abréviation de son album Dolorès), un noyau de fans auxquels il offre régulièrement des inédits; interlocuteur disponible, patient et attentif pour peu qu’on ne le « cherche » pas : ainsi va le vif argent du « Mont Sans Souci ».
C’est à domicile, sur sa terre auvergnate, face à un paysage de création du monde, qu’il a longuement reçu « CHORUS ». La parole est donc à MURAT Jean-Louis « toujours en retard » d’après ses propres propos, mais « très en avance » d’après de nombreux témoins. Même si l’intéressé se dit « difficile à coincer dans les cordes », belle occasion de meix comprendre l’univers d’anges et de démons qui fait le pain quotidien du chantre du Col de la Croix Morand et autres nis d’aigles.
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Voilà pour la présentation, à présent, je laisse MURAT et THEFAINE face à face … Délibérément je me refuse à faire un résumé de cette interview, je m’attache au contraire à ne faire apparaître que les aspects de la personnalité et de la vie de MURAT qui n’ont été abordés par personne jusqu’à présent et que THEFAINE a su aller chercher au plus profond de l’artiste … Ne vous étonnez donc pas de constater que la discographie du Brenoï soit laissée de côté alors que bien évidemment elle est largement revisitée au cours de ce reportage … Je vais donc principalement faire ressortir les galères de l’Auvergnat … et le décor dans lequel il vit à présent. Peu de journalistes ont eu la chance de vivre ne serait-ce que quelques heures dans l’intimité de MURAT et de Laure … THEFAINE a connu ce … bonheur !
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« C’est dans une maternité de Clermont Ferrand que Jean-Louis BERGHEAUD – futur MURAT – débarque sur terre un 28 Janvier. « A 40 bornes de la maison de mes parents. Il y avait paraît-il une tempête de neige. J’ai failli naître dans l’ambulance ». (…)
Le divorce précoce de son père, menuisier charpentier, et de sa mère couturière, a laissé chez lui des traces douloureuses : »Je n’en parle jamais, parce que celà m’amènerait à plonger dans des trucs difficiles. Déjà, ce n’est pas intéressant. Et en plus, ce n’est pas marrant à vivre … « . Silence : »Je n’ai pas vu mes parents pendant 15 ans. J’ai renoué avec eux quand j’ai acheté la maison où je vis aujourd’hui ». Fermez ou presque la paranthèse.
Pour ne pas faire de peine à ses proches, il est à peine plus prolixe sur ceux qui l’ont élevé. Les grands-parents paternels, Thérèse et François. « J’ai grandi dans une ferme auvergnate où il n’y avait pas l’eau courante. Vraiment la France profonde, à 15 kilomètres de LA BOURBOULE. Le monde je ne savais pas comme c’était grand. Paris et Clermont Ferrand, dans mon esprit, c’était la même chose. Je me souviens aussi de mon grand-père racontant qu’il était allé une fois à Clermont Ferrand. 50 kilomètres. Une expédition ! Quant à La Bourboule, 1500 habitants, pour moi c’était déjà la ville ».
Des souvenirs qui remontent comme des bulles. Des moins bons comme le contexte familial (…) Des meilleurs comme les séjours chez les grands-parents : « Effectivement, ça a toujours été très chouette. L’ennui n’existait pas, car dans une ferme il y a toujours quelque chose à faire. J’adorais entre autre m’occuper des animaux. (…) J’étais un petit garçon rêveur et heureux quoi. Je mettais bien sur la main à la pate. Avec la hantise, tout petit déjà, d’être traité de fainéant … »
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Pas de musique à la ferme, bien sur, mais se souvient Jean-Louis : »Ma grand-mère chantait tout le temps (…). Elle était d’une famille nombreuse … placée à 8/9 ans chez des paysans (…) elle avait gardé les vaches jusqu’à son mariage. On lui donnait deux bols de soupe par jour et elle dormait sur une paillasse. Comme partout ici à l’époque. Elle a même connu un truc, impensable aujourd’hui, qu’elle me racontait tout le temps, le passage des perruquiers. Tous les ans ils achetaient les cheveux des filles qui se rasaient alors le crâne. Ca leur faisait une savonnette avec laquelle ils tenaient l’année ! »
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Ni Thérèse ni François n’ont connu les débuts de chanteur de leur petit-fils. « Ils faisaient partie d’une génération où on turbinait tout le temps, quinze heures par jour. Ca ne fait généralement pas des vies très longues ». Celle de Jean-Louis MURAT qui s’appelle encore BERGHEAUD, bascule lorsqu’il entre au collège climatique de La Bourboule. (…) « J’ai eu la révélation de la poésie, après avoir étudié un texte d’Emile VERHAEREN sur les petits lapins ! (…) « Depuis, j’ai toujours écrit des poèmes ».
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Au hasard de ses séjours chez sa mère, sur le transistor qu’il emprunte, Jean-Louis a le choc d’une certaine musique américaine qui le marque définitivement. « Rays CHARLES … A fool for you » – « Like a Rolling Stone de Bob Dylan » ... Une rencontre fondatrice va structurer tout celà. Celle d ‘un prof d’anglais « sensationnel » qui lui fait rencontrer John Lee Hooker et Memphis Slim …
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Lorsqu’il débarque en classe de seconde au lycée de Clermont-Ferrand, Jean-Louis - qui se nomme toujours BERGHEAUD – a des rêves pleins la tête : « J’aurais voulu continuer mes études. Mais lorsque tu n’as pas de pognon, quee tu ne peux pas être boursier et que tu te retrouves à 18 ans avec un môme à charge, il faut que tu assures ! » (…) La suite est une très longue galère … »pendant laquelle j’ai fait 36 métiers (…) Je n’avais pas le choix. Il fallait que j’aille au turbin tous les jours pour rapporter un peu de blé » (…) « J’ai bossé chez BMW puis dans l’import export de produits pétroliers (…) Je suis parti au Maroc (…) Je suis passé par St Tropez, Chamonix, Avoriaz, j’ai fait les vendanges en Suisse ».
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Dans ce trop long tunnel, Paris occupe trois années, les plus dures. « J’y ai galéré comme c’est pas permis … A une période où j’étais particulièrement dans la dèche, j’ai fait les poubelles avec un copain, mort depuis d’une overdose, comme beaucoup trop. Aujourd’hui, quand je me rends au studio DAVOUT, porte de Montreuil, et qu’à la porte, sur le trottoir, je vois des mecs vendre des trucs, je me dis : »J’ai fait ça pendant deux mois … On vivait dehors. On vidait les poubelles de certains quartiers pour récupérer des trucs que l’on remettait à peu près en état avant d’aller les vendre aux Puces. c’était une vie très bizarre ».
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Sept ans ont passé depuis la naissance de son fils Yann. (…) « Je venais de voir un film de CASSAVETTES « Une femme sous influence ». A la sortie je me suis dit : Ce n’est plus possible, je vais dans le mur, il faut que je fasse autre chose, que j’aille au plus près de ce que j’aime et de ce que je suis … » (…) « J’ai passé une petite annonce pour trouver d’autres musiciens. C’est là que m’ont rejoint Alain, Jeannot et Jean-François que je ne connaissais pas auparavant … On a commencé à répéter dans un buron de montagne près de La Bourboule ».
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Avec « Clara » Jean-Louis se sent revivre, même si les caisses de la bande ne garnissent guère. « Le leader, c’était Alain, le chanteur. Moi je n’avais encore rien produit … et je ne savais pas jouer. Un jour qu’on était en panne de chansons, on s’est branché dans un bar. Alain m’a dit : « Si tu es si malin, tu n’as qu’à écrire toi ». Je suis remonté illico dans le buron où on répétait et j’ai commencé. Après c’est devenu une folie. J’écrivais le matin paroles et musique ; on répétait l »après-midi ou le soir ! Pendant deux ans, j’ai du faire deux chansons par jour ! Dans tous les styles … Je cherchais ».
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Entre 1984 et 1988, Jean-Louis traverse alors une « période très noire ». Pour retrouver un contrat il frappe à toutes les portes : en vain. En 87 et 88, maquette de Cheyenne sous le bras, il fait le tour des labels (…) « Tous ont écouté ce disque. Personne n’en n’a voulu » (…) « Je ne sais par quel miracle j’ai tenu … Théoriquement, j’aurais du laisser tomber ». (…) « J’étais dans la merde, quoi. Pas la demi, la totale. Je ne savais plus quoi faire ». (…) « Fin 87, alors que c’était mon dernier rendez-vous, Virgin me donne l’ opportunité d’enregistrer un 45 tours à l’essai. Je ne suis pas sur de faire un album … mais j’ai déjà Cheyenne Autumn en boîte. Bruno BAYON, de Libé, entend le titre qui s’appelle « Si je devais manquer de toi » et se met à délirer dans son journal. Le voilà qui débarque à Clermont-Ferrand et me fait je ne sais combien de papiers. Début 89, à la sortie de Cheyenne Autumn, pareil ; il en remet une couche. Tout le monde suit dans le mouvement ».
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Voilà pour les « galères » … enfin … Murat artiste fragile … me semble en perpétuel équilibre si proche du désiquilibre … funambule de l’impossible … qui se complaît à rendre encore plus difficile un métier où rien n’est jamais acquis … Adepte de l’auto-flagellation … qui demande à ce qu’on l’aime et semble tout faire pour n’être pas aimé … Artiste sans concession …
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A présent il ne nous reste plus qu’à suivre Jean THEFAINE dans sa visite de l’intimité du couple MURAT …
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C’est dans le massif du Sancy, quelque part dans le parc des volcans, pas très loin de LA BOURBOULE, que Jean-Louis MURAT s’est installé, il y a dix ans. Dans une ancienne ferme d’un siècle d’âge, avec multiples dépendances qu’il restaure actuellement de fond en comble. C’est déjà un plaisir de suivre la route serpentine qui mène, en slalomant à travers le paysage montagneux, jusqu’à son nid d’aigle. C’en est un autre, décuplé, de contempler le décor majestueux qu’il a quotidiennement sous les yeux. Un panoramique sur une auvergne en majesté, verdoyante et pentue, avec un lac qu’on devine tout la-haut et des vaches broutant paisiblement un peu partout.
« Ca impressionne comme ça, mais le terrin d’un hectare et demi et les bâtiments, je les ai payés 45000 balles. La moitié d’une bagnole pas spécialement canon ».
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C’est en toute décontraction que le maître de maison mène visite. Le studio-grange, d’abord, que meublent pour l’heure une télévision, un canapé et des chaises, une vieille armoire, une estrade en bois : « On va vider l’endroit pour y aménager une grande pièce à moi, un truc super lumineux. J’ai envie de place. On a enregistré ici deux albums, Venus et la musique de Mademoiselle Personne. Il y avait encore du foin. On a tout fait nous-mêmes ».
Murat parle de ses 27 guitares (…). Montée d’un escalier menant à une sorte de grenier. Sous une toile poussièreuse « la vieille console 24 pistes du studio Davout, millésime 1971, que j’ai rachetée il y a une dizaine d’années ».
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Retour au rez-de-chaussée, puis crochet par une ancienne écurie ceinturée de stalles. Dans ce capharnaüm dédié au bricolage et au jardinage, MURAT s’attarde un peu : « Tu as vu l’établi ? C’est celui de mon grand-père. A sa mort, j’ai tout récupéré, notamment ses outils. Regarde cette gouge, elle n’est pas belle ? Et ce villebrequin ? (Il esquisse une carresse vers l’objet). Il faudrait un peu de rangement, mais arrive un moment où tu ne peux pas tout faire. Là je suis en pleine écriture des chansons pour le nouvel album … ». Arrêt devant une croix de granit posée au sol : « Elle est spé, non ? Je vais l’installer au-desus de chez moi, au sommet de la butte, ou je suis en train de faire des plantations de trucs tout rouges ».
Dehors il fait grand soleil. (…) Il désigne, de l’autre côté de la route, une longue grange au toit de bric et de broc, autour de laquelle paissent quelques vaches : « Celles du voisin … Elles nous tondent l’herbe. Ce bâtiment la aussi est à moi. Le bordel que tu as pu voir ici n’est rien à côté du bordel qu’il y a la-bas. Des trucs récupérés dans la maison de mes grands-parents. Des chars, des brabants, des charrues … Tout pour monter une exploitation agricole ».
Quelques pas pour revenir sur l’arrière de la maison. Après un coup d’oeil sur le « domaine privé » de Laure, (« nos derniers travaux »), une pièce toute en longueur, percée de deux fenêtres basses donnant sur les montagnes, ultime étape dans un local jouxtant la grange-studio : « C’est ici que je fais tous les chants, toutes les guitares. Je travaille en huit pistes. C’est câblé… J’enregistre direct quand je veux ». Dans un coin un piano sommeille, le couvercle fermé. Un songbook de Léonard COHEN dépasse d’une pile bancale. A travers la vitre, deux transats n’attendent que nous pour entamer la causerie (…) Top magnéto. C’est parti.
J.T. : Ce village d’Auvergne ou tu t’es installé il y a dix ans, ce n’est pas la matrice originelle, puisque tu as vécu ton adolescence dans une autre ferme. c’est une duplication ?
JLM : Ca y ressemble beaucoup. Le hangar a été fait par un grand oncle. Ce n’est pas un lien vraiment direct, mais bon … Je vis dans un cadre un peu semblable à celui où j’ai été élevé. Et puis, à vol d’oiseau, je ne suis pas loin. Dix borne. La Bourboule, c’est juste de l’autre côté. Je ne suis pas dépaysé, quoi.
J.T. : Laure, ta compagne se fait à cette vie ?
JLM : Très bien. C’est une vraie parisienne mais elle s’y est faite comme un chef. Elle connaît tous les paysans du coin. Elle comprend preque le patois. Elle pourrait tuer un cochon. Elle sait trouver les bons champignons, ramasser les framboises et les reines des prés, elle fait des confitures … On essaie de vivre au mieux, quoi ».
J.T. : Tu as gardé tous les outils agricoles de tes grands-parents. L’agriculture et l’élevage te tentent ?
JLM : Oui. Laure n’est pas d’accord … mais j’aimerais vraiment faire le paysan, comme dans mon adolescence. Surtout avoir des bêtes et m’en occuper. Notamment des Salers et des Ferrandaises, les vaches du coin … »
(…)
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Le voyage chez MURAT se termine là … Les autres questions posées par Jean THEPHAINE concernent sa discographie … ses rapport avec les gens du milieu de la musique … autant d’éléments déjà abordés par ailleurs. Merci Monsieur Jean THEFAINE d’avoir été notre guide …
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« Les Inrockuptibles » n° 54 – Avril 1994
« Plein air »
(Propos recueillis par Michel JOURDE et Hadrien LAROCHE)
Ce reportage constitue le portrait croisé de deux hommes attachés à la terre et aux valeurs paysannes : MURAT le chanteur auvergnat et Jean Loup TRASSARD l’écrivain Mayennais. Cette interview est importante. S’agissant de MURAT elle met en lumière :
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l’amour qu’il porte à « son pays » … « entre Tuilières et Sanadoire » … là où il vivait avec son grand-père
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sa haine de la ville
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le rôle prépondérant des animaux de la ferme dans sa vie d’homme … Ces animaux qui tour à tour sont confidents … initiateurs aux « choses de la vie » … et pourtant qu’on égorge sans remord aucun !
Je donne la parole à MURAT qui s’adresse à TRASSARD :
« Mon idée fixe c’est de retrouver toutes les conditions qui ont fait le petit bonheur chez mes grands-parents. C’est un entêtement enfantin. Longtemps, ma seule motivation a été d’acheter une ferme et de pouvoir m’installer. Je me demandais quelle activité n’était pas trop emmerdante et pouvait rapporter gros. J’en étais arrivé à l’idée de me faire mes petites chansons, grelin grelin, et de voir si ça marchait. Plutôt que d’aller trimer chez Michelin et de ne jamais y arriver. Maintenant, j’ai la ferme, la deuxième ferme, L’Emile, les travaux et d’un seul coup, au moment d’acheter des bêtes, de changer de vie, de passer dans le définitif, c’est le doute qui me tient. Quand je vois ces objets chez vous ou ce qu’il y a dans votre oeuvre, je me rends bien compte que la matière même de mon souvenir, la matière même que je recherche, passe par des situations qui ne peuvent plus exister, les gestes, les odeurs, les outils. Je suis parti de chez moi avant hier, il neigeait. Je me souviens avoir été, des centaines de fois, réveillé très tôt en même temps que mon grand-père et d’avoir remarqué à l’oreille qu’il se passait quelque chose, pas la même lumière : il fallait aller faire la trace pour les bêtes, vers les bacs qui étaient à cent mètres. Je pourrais reconstituer tout ça. je n’aurais plus à aller faire la trace pour amener les bêtes aux bacs et à casser légèrement la glace dessus. C’est ce qui me manque finalement et qui rend vaine cette espèce de nostalgie. Je sais que même en y revenant, il y aura la trayeuse électrique. Alors qu’on faisait tout à la main, on faisait soi-même ses outils. Il n’y avait pas d’eau courante. L’électrictricité on ne s’en servait quasiment pas, on se couchait à 7 heures du soir, on était debout à 4 h. On parlait patois et on n’avait ni le journal ni la radio. Gestes, situations, mots, tout a changé. Il reste peut-être l’enveloppe, mais à l’intérieur, tout est devenu caduc dans les signes que je recherche« .
(…)
« La petite ville, pour moi, c’était LA BOURBOULE. J’étais toujours avec mon grand-père, on voyait trois boeufs par jour. L’école, aller en ville, c’était une vraie terreur. Après il y a eu CLERMONT FERRAND. Mes parents s’en souviennent très bien : j’ai toujours été malade pour aller à CLERMONT FERRAND. J’ai toujours tout fait pour ne pas y aller. On arrêtait tous les dix kilomètres. J’étais malade en voiture. J’y restais couché tant qu’on était dans la ville. Depuis, j’ai la haine des citadins. Je vois chaque citadin comme un déserteur. Je leur souhaite le pire« .
(…)
« J’adore être dégueulasse. Evidemment, on est civilisé. Mais mon grand-père se lavait une fois tous les trois ans, et encore ! J’ai été habitué à me laver dans le bac. Je me lavais une fois tous les trois mois. Je plongeais dans l’eau. Après, avec toutes ces civilités et ces choses-là on ne vit plus. A la campagne encore, on arrive à préserver un peu de mémoire de quelque chose qui a un peu de sens. Mais en ville, c’est une catastrophe. En ville, la vie n’existe plus. A part regarder les filles, il n’y a rien d’autre, quelques sourires, quelques regards, une démarche ou une silhouette. Sinon, une torture ».
« Ayant été élevé avec des animaux, j’ai toujours fait mes vraies confidences à mes vaches préférées. J’ai tout appris de la vie des animaux. J’ai passé un temps fou à aller chez les voisins, à essayer de ramener le taureau, m’occuper des bêtes, les bêtes qui gonflent, les petits veaux. J’ai l’impression que l’apprentissage de ma sexualité vient entièrement de là. Plus je plonge dans l’animalité, plus je suis content. J’aime dans le plaisir des grognements absolument primitifs ».
TRASSARD lui répond en écho …
« J’avais un étalonnier qui était aussi mon voisin. Il avait une ferme avec un mur pratiquement mitoyen. Maintenant il n’y a plus d’étalon, mais à l’époque il y avait six étalons percherons et les juments venaient. Lorsqu’une jument était en chaleur, l’agriculteur amenait les autres, pour voir si des fois elles ne se décidaient pas, ça lui faisait moins de voyages. Donc il venait avec trois, quatre juments qu’il attachait comme dans les westerns. Puis on sortait les étalons qui caracolaient, avec des gourmettes qui tintinnabulaient. Mon père m’avait dit qu’il ne fallait pas regarder, mais j’avais une petite échelle que je m’étais faite, pour voir par dessus le mur. Et je passais ma journée à regarder ce cirque, c’était formidable. On m’a dit que c’était une opération de voyeur, mais pas du tout, j’étais totalement innocent et je ne comprenais rien à ce qui se passait. Surtout je n’ai jamais pensé que les bonnes gens faisaient des trucs semblables ».
(…)
L’auvergnat reprend la parole …
« Après, adulte ça revient. Ca me possède assez fort. Avec les animaux, j’ai eu des expériences parfois un peu effrayantes. Chez moi, à la maison, on tuait un cochon par semaine. J’aidais. C’étaient des choses absolument épouvantables, mettre le couteau dans le cochon pour récupérer les boyaux. Les boyaux dans le bac, j’étais extrêmement content. La première louche de sang, c’était pour moi. J’ai été élevé comme ça. Ca m’a marqué. J’ai l’impression que je peux tuer n’importe quel animal ».
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Ces mots simples, parfois crus permettent de mieux comprendre MURAT … enfant de la campagne … où à chaque instant on est confronté aux … « choses de la vie » … à la mort … tout est plus simple … bien moins artificiel … On ne peut pas comprendre MURAT si on ne s’imprègne pas de celà … Je pense avoir fait le tour de … »l’animal » … au travers de ses déclarations écrites … Je n’envisage pas d’y revenir pour l’heure. Mais il y a encore tant à découvrir sur notre Auvergnat préféré …
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eh ben voilà, suffit « d’avoir la bonne clef ». Merci
enfin, j’ai tout lu et c’est passionnant!
timide, gentil et attentionné avec ceux qu’il aime, ceux qui l’aiment… comment peut-on en douter?
oui il a raison de pas se laisser faire, de choisir de dire et de faire ce qui lui plait, mille fois raison! j’avais adoré la façon dont il était rentré dans le lard de Charlotte de Turckheim, elle l’avait bien cherché!
et puis je suis bien contente d’avoir eu confirmation de l’aide de CharlElie à ses débuts (lui aussi fait ce qui lui plait et le fait parfaitement bien!)
merci, merci et encore merci Didier
Merci Armelle, de ton assiduité et de tes encouragments.
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avec cette interview, on entre vraiment dans l’intimité du timide Jean-Louis; il ne cache pas grand chose de sa vie par ce qu’il n’y a rien à cacher, pas de honte, pas de rancoeur mais le respect des siens et… juste une vie de terre et d’eau, une vie à fleur de peau!
Une vie de terre et d’eau … une vie à fleur de peau …
C’est bien ça …
Tout est dit !
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excellent le récit de l’époque CLARA, avec méga concert Rock avec Bijou à La Bourboule.
Merci Eric,
si tu as connu cette époque CLARA on ne sait jamais je suis à la recherche de tous renseignement …
A +
Didier.
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Concernant la peinture, je serais au regret de dire à JLM que malgré tout, l’apprentissage un peu didactique et scolaire sert. Au moins pour avoir les bases. Ce que de moins en moins de gens qui pratiquent le dessin et la peinture ont aujourd’hui y compris aux Beaux-Arts où l’on n’apprend plus aux gens à dessiner correctement, hélas.
Si je n’avais pas eu ma prépa Beaux-Arts à Beaune avant d’entrer aux Beaux-Arts de Pau, jamais j’aurais pu enseigner les arts aussi bien aux enfants qu’aux ados ou qu’aux adultes. Parce que je n’avais qu’une connaissance vague, aucune technique, d’énormes difficultés pour comprendre et rendre la perspective, je bataillais sur les contrastes, les volumes, je bloquais sur tout un tas de choses, ma créativité était sans cesse limitée par un problème technique. Les vrais cours que j’ai reçus m’ont permis de me libérer progressivement de la technique tout en l’apprivoisant de façon juste.
Ce qui n’aurait jamais été possible si j’étais restée autodidacte. Parce que même si l’on est ultra créatif et curieux, y a des démarches, des procédés techniques qu’on osera jamais seul(e). Et une fois que quelqu’un de compétent te les apprend, tu peux plus facilement tracer ton chemin, t’épanouir.
J’aurais tellement aimé savoir peindre ! Mais c’est comme les maths … je sus nul !
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Faut pas dire ça, Didier. Tout s’apprend. Si tu as le désir, la passion, tu y arriveras toujours. Je le dis régulièrement à des adultes qui arrivent à mes cours et qui me disent au début: j’adorerais dessiner et peindre mais je suis nul. Si leur motivation est réelle, ils font rapidement des merveilles dont ils ne se seraient jamais crus capables. Je vois ça tous les ans. C’est aussi ce qui me fait le plus plaisir dans ce métier.