- 76 – Jean-Louis MURAT … vous avez dit … concupiscent ???

- 76 - Jean-Louis MURAT ... vous avez dit ... concupiscent ??? concu-300x245

Jean-Louis BERGHEAUD aime les mots, leur sonorité, leur variété, leur musique. Elevé au « Larousse » il sait que les mots sont source d’émancipation. Pour MURAT les mots ont des couleurs, des saveurs, des odeurs … Les mots génèrent aussi des images. User  de mots variés c’est voyager, se souvenir, se projeter, c’est partir ou revenir, c’est espérer ou désespérer. Les mots, on leur fait dire ce qu’on veut, une chose et son contraire. Le 29 mars 2008, dans les colonnes du « Figaro Madame », MURAT répond avec avidité  à cette question de Laurent MEREU BOULCH : « Votre mots favori ? ». La réponse gicle : « Concupiscent. J’éprouve un plaisir infini à le dire« . Le disant, j’imagine ses yeux qui brillent, la salive lui vient à la bouche. MURAT est un jouisseur, y compris dans l’usage qu’il fait des mots. « Concupiscent » … résume assez bien le personnage …

Ce « concupiscent » qui nous est jeté à la volée par MURAT attise ma curiosité. Je me précipite donc dans le dictionnaire pour y dénicher cette définition : « Qui éprouve une forte inclinaison pour les plaisir sensuels ». Au titre des synonymes figurent : « charnel, lascif, lubrique ». Une personne peut éprouver de la concupiscence. Les réactions provoquées peuvent également traduire ce sentiment, cette soif, cette envie, jusqu’en s’en pourlécher les babines … On dit : « Un œil concupiscent ». Pour un non aveugle, c’est souvent des yeux (pour ne pas dire toujours) que naissent les désirs. Il y a ce cheminement oeil/tête/jambe/bras/bouche/pénis … Marcel PROUST dans « Sodome et Gomorrhe » écrit : « Nous allâmes nous asseoir, mais avant de s’éloigner du groupe que Monsieur DE CHARLUS formait avec les deux jeunes SURGIS  et leur mère, Swann ne put s’empêcher d’attacher sur le corsage de celle-ci de longs regards de connaisseurs dilatés et concupiscents. Il mit même son monocle pour mieux apercevoir, et, tout en me parlant, de temps à autre, il jetait un regard vers la direction de cette dame ».

Les écrivains et philosophes aiment à aborder ce thème de la concupiscence dans leur œuvre. En 1933 Marcel AYME dans son roman « La jument verte » écrit : « Une humanité douloureusement concupiscente hantait l’apparence de ma chair ». L’auteur fait dire à sa jument les mots et pensées qu’il ne peut prononcer lui-même en ces années où la morale judéo chrétienne pèse encore de tout son poids. On peut faire (en cachette) mais surtout ne pas le dire … Ce roman raconte, dans une veine naturaliste, tendre et satirique à la fois, l’histoire du petit village de Claquebue. Le livre va entraîner la controverse. Les « pour » le disputent aux « contre ». Camille, la sœur aînée de l’écrivain se dit : « offusquée des licences » que son frère : « s’est octroyées partout avec la morale traditionnelle ». Marcel AYME lui répond le 23 juillet 1933  : »A vrai dire je n’avais pas pensé que les propos (de la jument sur la gaillardise de certains personnages) te choqueraient.  Je m’étais flatté de pouvoir parler avec une saine liberté des questions sexuelles, sans recourir aux descriptions grassement lubriques de l’Amant de Lady CHATTERLEY ou du Dieu des corps qui semblent avoir été écrits exprès pour exciter les gamins de 16 ans ».

La polémique fait rage. Un certain Monsieur COQUEMARD directeur du journal « La femme et l’enfant » écrit au Procureur de la République et lui demande instamment de : « Prendre toutes les mesures pour arrêter les ventes publiques de cet ouvrage que le talent de son auteur rend plus infâme encore et qui est de nature à pourrir la jeune génération de notre pays » !!! Déjà en 1833 de tels propos …

Ils sont nombreux les écrivains, de tout poil, de tous bords et pays ceux qui évoquent la concupiscence dans leur œuvre …

  • « Des boucs concupiscents » (O.V. MILOSZ) … « L’amoureuse initiation » (1910).

  • « Des concupiscents acharnés à jouir » (François MAURIAC) « Souffrance et bonheur du chrétien ».

Les philosophes ont une approche plus large du propos. Par ce mot ils entendent : « Tendance de l’appétit sensible à posséder un bien ». C’est ainsi que dans ses « Propos » (1930) le philosophe ALAIN écrit : « Les marxistes n’ont point assez distingué » (…) « l’irascible du concupiscent ».

Dans nos sociétés puritaines et conservatrices « l’habit fait le moine ». Jusque l’après guerre, vous étiez pauvre et cela se voyait sur vous. A la fin du 19ème siècle, les bains de mer font leur apparition. N’y vont que les « riches » me direz vous … C’est vrai mais il y a là une évolution irréversible. Certains prédicateurs s’exclament : « Il faut rigoureusement prohiber aux jeunes gens et aux jeunes filles les bains de mer. Ceux-ci ne peuvent être que prétexte à la concupiscence et à la débauche. L’eau de mer c’est la salive du diable ».

Le mot concupiscent a longtemps été accolé à l’homme lubrique. Mais quelle est donc son origine ?  Il nous vient du verbe « cupere » qui lui-même, donne son nom à CUPIDON, Dieu latin de l’amour fou et du désir. Ce verbe signifie donc : désirer avec beaucoup d’ardeur. Le terme « concupiscent » naquit dans la bouche des païens qui en firent l’équivalent de ce que notre langue désigne sous le terme de convoitise. SAINT AUGUSTIN est le premier à faire la relation entre la libido et la concupiscence. Selon SAINT AUGUSTIN, la libido est la tendance inhérente à l’homme qui le pousse à satisfaire sa concupiscence. SAINT AUGUSTIN  différencie : « libido sciendi » « sentiendi » et « dominandi ».  Ci dessous un bref résumé des travaux de ce brave homme :

  • Libido sentiendi  : satisfaction des appétit du corps poussés par la concupiscence de la chair, mais aussi celle des yeux.

  • Libido sciendi : définie par SAINT AUGUSTIN comme la curiosité ou la vanité de l’homme, lequel s’appuyant sur ses doctes connaissances prétend appréhender à lui seul la vérité. En disant cela SAINT AUGUSTIN vise les païens qui imbus de leur philosophie se détournent de Dieu et se perdent dans des spéculations de toutes sortes.

  • Libido dominandi : consiste dans la volonté de puissance, de domination sur les autres poussant à l’orgueil.

Pour faire court, les philosophes de SAINT AUGUSTIN à SPINOZA désignent la « libido » comme étant le sens d’appétit sensuel pour ne pas dire sexuel.

Au travers de ce mot il me semble avoir découvert un peu plus encore le personnage BERGHEAUD. Je me dois de reconnaître que le mot m’était connu mais j’en ignorais le sens véritable. Jean-Louis BERGHEAUD m’a donc permis, une nouvelle fois de m’enrichir.   Chaque fois que j’entendrai parler de « concupiscence » je verrai les yeux rieurs et gourmands de MURAT. A l’occasion de la sortie de l’album « Lilith » le 11 septembre 2003, dans les colonnes du « Monde »   on peut lire cette critique : « Il pour-suit son exploration chamanique des chagrins et des pulsions avec, au centre, l’homme et son inextinguible concupiscence« .

A présent je vais pouvoir relire les textes de MURAT avec un œil nouveau. Un exemple ??? Dans « Paradis perdus » extrait de « Cheyenne » le chantre Auvergnat évoque le : « Parfum véritable/Des jouissances aigües ».  En fait chez le poète MURAT il y a « concupiscence » au détour de chaque ligne.

 ***

Ajout le 14 juillet 2016 …

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Avec « Babel » (2014) MURAT évoque son enfance, mais aussi le temps qui passe, qui fait de vous un amant moins performant …

Extrait de « Les Ronces » : (…) « Nous n’irons plus nous cueillir en narcisse dans le matin/Nous n’irons plus aux marches d’or du péché » (…) « Nous n’irons plus au bois ma mie, les lauriers sont coupés » (…)

Pour autant il est évident que MURAT ne peut rester sur un tel constat. Il reprend de la vigueur et assène …

Extrait de « Passions tristes » : (…) « Sillonne-toi, va au bout de l’envie » (…)

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« Morituri » (2016) nous conduit de rares fois vers les chemins de plus en plus escarpés de l’amour. Le titre « Nuit sur l’Hymalaya » est une ode à l’amour. MURAT doit être fier de lui lorsqu’il écrit : « Comment va la chose/Vers le ruisselet/Toujours le désir à longue portée » (…) « Comment va l’amour/L’honneur et la vie/Les cuisses d’amour/Par l’amour saisies« . J’imagine le sourire et l’œil concupiscents de MURAT une fois ces mots couchés sur la feuille blanche.  Ces mots sont des images … Le talent de MURAT c’est aussi de donner à percevoir … 

***

Publié dans : ||le 22 septembre, 2013 |5 Commentaires »

5 Commentaires Commenter.

  1. le 23 septembre, 2013 à 17:02 Rhiannon écrit:

    Concupiscence…j’adore ce mot…;)…très jouissif en effet…jouir des biens terrestres…plaisirs sensuels…contact…toucher…avidité…Didier…ton article est excellent…je l’ai lu avec concupiscence…

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    • le 23 septembre, 2013 à 21:17 didierlebras écrit:

      Salut Rhia,
      merci de ton commentaire … Jamais je n’aurais pensé que l’étude de l’œuvre de JLM m’aurait mené si loin … Je me relis parfois et je suis étonné … Des fois je me dis que je s’rais incapable de refaire ce « travail » … Merci de ton amitié Rhia … Bisous …

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  2. le 23 septembre, 2013 à 17:27 Muse écrit:

    Hello Didier

    Joli travail d’analyse. Tu peux rajouter à ta liste des auteurs du 18ème siècle, tels Crébillon Fils, Restif de la Bretonne, Diderot, et le marquis de Sade.

    JLM en plus, a appelé sa fille Justine, qui n’est pas sans évoquer le personnage ambigu ( jeune fille prude mais adorant le plaisir sexuel masochiste pris lors de ses mésaventures) du roman de Sade « les Infortunes de la Vertu ».

    Je te mets un lien pour que tu aies des pistes de recherches supplémentaires:

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Justine_ou_les_Malheurs_de_la_vertu

    Sade a écrit également l’histoire de la soeur de Justine, Juliette, qui elle, est une jeune fille délurée et qui n’hésite pas à surenchérir dans la débauche et le vice, le crime aussi, y prenant un plaisir sadique et un plaisir sexuel moins hypocrite que sa soeur et y gagnant du pouvoir, de l’argent.

    Pourquoi JLM a-t-il préféré donner à sa fille le prénom Justine que Juliette? Ce serait intéressant à savoir.
    Et on peut se dire que ce prénom a une vraie connotation de concupiscence si l’on pense qu’il est une référence à l’oeuvre du Marquis de Sade.

    Maintenant, je sais qu’en Auvergne, le prénom Justine a toujours été régulièrement donné dans les familles.
    Mon arrière-grand-mère paternelle auvergnate née en 1868 dans un petit village du côté de Châtelguyon s’appelait Justine-Amable. Est-ce un héritage de Sade (qui a passé une partie de son enfance chez un oncle résidant dans l’Allier) ou était-ce un choix issu d’un personnage populaire féminin auvergnat? Je ne saurais te dire.

    En tout cas, l’Auvergne est une région où ce prénom féminin est énormément donné depuis plusieurs siècles.

    Je conclus en me demandant quand même pourquoi JLM, tellement épris de sujets libertins, n’a pas travaillé et adapté en chansons plus de textes libertins. Je pense à Apollinaire, Sade, Pierre Louÿs, Crébillon et bien d’autres qui auraient pu lui servir d’inspirations directes…

    Mis à part quelques poèmes gaillards de Béranger et quelques strophes coquines et encore très softs d’Antoinette Deshoulières, JLM a plutôt préférer explorer le sujet par ses propres mots.

    Peur de choquer le public?
    Peur d’assumer de façon plus crue et directe, sans ambiguïté sa concupiscence?

    Il semble sans arrêt osciller entre la franche gauloiserie et une sorte de fausse pudeur hypocrite dès qu’on le pousse un peu dans ces sujets…
    Encore une contradiction, et je pense en particulier à une expression qu’il a souvent employée et qui le définit assez bien sur ce chapitre: « le curé au bordel ».

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    • le 23 septembre, 2013 à 21:15 didierlebras écrit:

      Salut Muse,
      c’est toujours avec curiosité et avidité que j’attends ton commentaire … comme si on attendait un juge de paix … Avec Muse il n’y a pas de concession … C’est ce que j’aime …
      En plus tu me donnes des idées …
      Merci 1000 fois.
      Didier.

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  3. le 23 septembre, 2013 à 23:59 Rhiannon écrit:

    Oui Muse ..en effet…je le cite dans mon recueil… »Le libertin » en annexe…j’ai ajouté une petite biographie du marquis de Sade et un extrait de cette oeuvre « Justine ou les malheurs de la vertu » et Juliette ou les prospérités du vice ».. j’ai fait la même analyse concernant le prénom de Justine ….il parle d’ailleurs de Sade dans une de ses chansons… »marquis »…Sade a d’ailleurs été surnommé le « divin marquis », en référence au  » divin Arétin « , premier auteur érotique des temps modernes (XVIe siècle). Oeuvre à référencer…

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