- 58 – Jean-Louis MURAT et ses contradictions …
Jean Louis Murat (octobre 2013).
Le dictionnaire « Larousse » définit la contradiction comme étant :« L’action de contredire, de se mettre en opposition avec ce qu’on a dit ou fait » . Le « C.N.R.T.L. » (centre national de ressources textuelles et lexicales) lui donne la définition suivante : « Action de s’opposer à soi-même ou d’opposer quelqu’un à lui-même en agissant dans un sens que contredisent ses pensées, ses paroles ou ses actes antérieurs ».
Jean-Louis MURAT aime à se contredire. Il n’est pas le seul. Rares par exemple sont les hommes politiques qui tiennent ce qu’ils ont promis. Celà n’excuse rien. Jean-Louis BERGHEAUD enfant de la terre, modeste parmi les modestes n’était pas fait pour briller, vivre sous les feux de la rampe. C’est Jean-Louis MURAT qui l’oblige à paraître, à discourir, à sourire … La première contradiction est là. Pour vous rassurer j’emprunte au poète Français Marcel SCHWOB (25 août 1867-26 février 1905 ) qui écrit : « Pense dans le moment. Toute pensée qui dure est contradiction ».
Ce n’est pas la moindre des contradiction, c’est MURAT homme public qui déclarait le 9 décembre 2011 lors de la campagne promo « Grand lièvre » : « Ca me plaît qu’on ne m’aime pas« . BERGHEAUD dit toujours ce qu’il pense, sans réfléchir aux conséquences. MURAT doit faire avec. Il n’a pas le choix. Tout au long de cette page nouvelles nous allons énumérer les contradictions que porte en lui le chanteur Jean-Louis MURAT, révélées le plus souvent par le paysan Jean-Louis BERGHEAUD …
Bruno BAYON sera le 1er avec Anne-Marie PAQUOTTE à croire en MURAT. Lors de son interview de février 1988 pour « Libé », BAYON nous livre un portrait du chanteur de Clermont où apparaissent déjà les contradiction qui caractérisent ce personnage nouveau dans la chanson Française. Voici ce qu’il écrit : « Un bel inconnu au dégoût étrange venu d’ailleurs » (…) « S’assied, se lève toutes les deux minutes » (…) « Triste et beau comme un grand reposoir » … Jean-Louis BERGHEAUD confie à Juliette COPE en Juin 89 : « Je me trouve moche et con ». Autre confidence : « J’adore qu’on m’aime » et pourtant il écrit : « Le garçon qui maudit les filles » !
MURAT éprouve beaucoup d’admiration pour le cinéaste TARKOVSKI dont il dit : « Chez TARKOVSKI, si un personnage part en voyage, il revient toujours ». Parlant de lui cette fois il ajoute : « Moi, je ne pars pas, je reste là planté en Auvergne. J’aimerais faire des chansons ailleurs pour mieux revenir ». (Propos recueillis par A.M. PAQUOTTE le 8 nov. 1989). On peut penser que celui qui aspire à écrire des chansons le fait pour les autres, en pensant aux autres, je veux parler de son public. Chez MURAT … que nenni ! Dans les colonnes des « Inrocks » (n° 18/1989) sous la plume de Christian FEVRET rapportant les paroles du chanteur d’Orcival on peut lire : « Quand je fais un disque, je ne pense qu’à moi » (…) « Quand je fais des chansons, je cherche ma vérité ». MURAT n’écrit donc pas pour nous faire plaisir, pour flatter nos égos, ni davantage pour aller dans le sens du vent. Dès le début de sa carrière, le 8 novembre 1989, dans les colonnes de « Télérama » il révèle à Anne-Marie PAQUOTTE : « Je vais essayer de faire chanteur et fermier ! ». A l’époque, personne ne le prend au sérieux et surtout pas la journaliste … C’est d’ailleurs impensable, toucher le cœur des filles par des chansons … traire les vaches … cultiver la terre … autant de choses antinomiques ! Pourtant déjà Jean-Louis BERGHEAUD est sincère.
Dans « Paroles et musiques » (n° 20/1989) Thierry SECHAN fait remarquer qu’il : « écrit et compose ». MURAT lui rétorque : « Pour moi, les musiques, les sons c’est moins important que les mots. Moi je ne chante pas vraiment. J’essaie de porter un langage poétique. » Thierry SECHAN écrit : « Et il promet d’aller plus loin, de se dépouiller toujours davantage, jusqu’à ce qu’on écoute ses textes ».
Dans « Les Inrocks » (n° 31/1989) MURAT déclare à Christian FEVRET : « Je me sens assez d’énergie pour porter toutes les contradictions ». Voilà qui est dit. Suit cette question : « Tu aimes le silence et les gens qui savent se taire, mais tu es le premier à être un parleur, un bavardeux ? ». Réponse de l’Auvergnat : « C’est un phénomène assez naturel, un oiseau avec son chant participe du silence. Parler c’est mettre de l’ordre dans son propre silence. J’ai donc malgré tout la sensation d’être silencieux ». Dans le cadre de cette même interview il évoque ses rêves paysans : « Je ne veux pas toujours être avec les mêmes rêves. Le monde paysan et la façon dont je voudrais vivre, c’est une douce illusion que je me fais. Ce n’est pas parce que j’aurais cinquante bêtes, trois mouflets, quatre chiens et cinquante hectares que tout ira comme sur des roulettes ». Pour ajouter à la complexité MURAT termine : « Dès que je dis un truc, je pense le contraire. J’ai l’impression que dans mon esprit, l’eau et l’huile, c’est chacun son tour. Mon angoisse, c’est que les gens ne comprennent pas la contradiction. Ce qui implique des difficultés avec mon entourage« .
Le 6 novembre 1991 Thierry COLJON pour « Le Soir Belge » nous dresse un magnifique portrait de MURAT qui met en exergue toutes les contradictions de l’auteur du « Manteau de pluie ». IL écrit en préambule à l’interview du chanteur Auvergnat : « BERGHEAUD de son vrai nom, l’homme est malgré tout un malin véritable, un honnête filou nageant avec charme et délicatesse dans une industrie dont il a tout compris. Vivant dans une ferme en son Auvergne natale, Jean-Louis est comme un berger … terme qu’il affectionne tout particulièrement … se servant d’ordinateurs dans sa bergerie. Cultivant une non image qui en devient forcément une. MURAT traduit en mots et images la plus grande des détresses tout en acceptant d’efficaces collaborations aux implications commerciales ». Dans ce même article MURAT déclare : « Je suis un mélancolique de nature, d’une famille de mélancoliques, de migraineux, de suicidaires et de tristes. Si j’étais dans le quotidien ce que je suis dans mon disque, je ne ferais plus de disques. Il y a longtemps que je serais sous terre, je pense. C’est une thérapie, une auto-analyse ». (…) « Avant, avec les mécènes, un artiste était souvent un bourgeois qui n’avait pas toujours à gagner sa croûte. Aujourd’hui, tous ceux qui sont dans la musique ont un œil sur la courbe des ventes. C’est quasiment obligé. Moi, je sais combien j’ai dépensé, j’ai géré mon budget sur l’enregistrement, je ne l’ai pas dépensé, et je sais exactement les pourcentages que ça peut rapporter, à combien de disques j’aurai remboursé l’enregistrement, ce que ça me permettra de faire et je sais sur deux ans quels rythmes peuvent prendre mes ventes et qu’au bout de deux ans, quand je vais rediscuter tout ça, je sais quel budget j’aurai et d’envisager la suite et d’avoir une stratégie artistique qui tient compte des données commerciales. C’est comme ça même si c’est malheureux ». Voilà un MURAT surprenant … près de ses sous ??? Non mais qui sait les compter ! C’est sans doute pourquoi il nous explique : « Peut-être que ça désacralise beaucoup de choses , mais je suis très au fait des règles commerciales ». COLJON embraye : « Gères-tu ton image aussi bien que ton produit ? ». La réponse fuse : « J’essaie de rester dans le paradoxe. Je trouve que la meilleure image est de ne pas en avoir. Tout comme j’aimerais bien donner l’idée d’absence en étant présent dans les médias. L’affection naît toujours de l’absence. Donc il faut arriver à être présent et malgré tout susciter un manque. Tout artiste a conscience de l’usure et bien souvent on en reste à un raisonnement qui manie le paradoxe. Peut-être que dans un an ou deux, j’aurais affiné cette chose là, j’y verrai plus clair. Dans la mesure où je n’ai ni conseiller ni manager, j’essaie d’avancer tout seul là-dedans. En restant sincère. Sans avoir rien à cacher. Moi, je ne cache rien, que ce soit en faisant un disque ou de le promouvoir. Quand on montre tout, c’est là qu’on peut être encore plus mystérieux. Je trouve qu’une femme qui se donne entièrement est beaucoup plus mystérieuse qu’une femme qui se cache. L’énigme devient plus profonde quand tout est donné. Je sais que si je donne tout de moi, si je m’étale, si je me crucifie, si je suis écorché vif, l’énigme n’en sera que plus profonde. Je pense que l’habileté après, c’est de dire toujours la même chose de façon différente ». Laissons la parole à Thierry COLJON qui écrit : « Avec son regard de loup triste, Jean-Louis MURAT cultive les mystères paradoxaux ».
Avec le « Berger de Chamablanc » on n’en sort pas … on va de contradictions en paradoxes. En novembre 1991 … le voici invité chez « Lenoir » sur « France Inter » … A cette question : « Tu as eu un peu peur d’être toi-même jusqu’au bout ? » … il répond : « Ouais. Parce que pendant sept ans, en étant exactement moi-même, je curais les boîtes de sardines. Donc on peut avoir envie de changer un peu ». Ces paroles sont celles du bons sens … et pas obligatoirement celles qu’on attend de la part de MURAT. Cela ne l’empêche pas en cette fin d’année 1991 de répondre ainsi qu’il suit à une question de JL CAMBIER pour « Télémoustique » : « Tu conserves ce goût de l’héroïsme, cette volonté de ne pas louvoyer ? ». Réponse : « J’y pense toujours. Je ne cherche pas la merde parce que j’ai envie d’avoir les moyens de faire des disques, mais je fais un minimum de concessions ».
Marc POTAIN pour « Star » (1991) écrit : « Il n’a pas de manager ou d’avocat, deale donc lui-même ses contrats et contrôle en personne le moindre aspect de sa carrière. Preuve d’une vigilance exemplaire … et peu cohérente semble-t’il avec son image d’individu accablé ».
Dans le même ordre d’idée B. UCROS dans les « Carnets de l’Hebdo » (1991) interviewe MURAT et intitule son article : « Le cultivateur des paradoxes » …
Question : Vous donnez l’image d’un artiste qui n’aime pas beaucoup apparaître en public. Faire ce métier, c’est quelque chose qui vous coûte ? ».
Réponse : Comme tous les gens qui font « chanteur », ce que je recherche avant tout c’est l’affection du public. Et l’affection ne vient jamais sur la présence constante. Il faut savoir organiser assez élégamment son absence dans la mesure ou le but ultime, c’est la reconnaissance de tous. Etre là, sans être là, c’est un peu ma ligne directrice … Je n’aime pas ces chanteurs qui couchent avec le France entière pendant trois ans et puis qui reviennent … C’est comme être la femme de tout le monde. Ce n’est pas ça qui donne l’amour. On ne gagne pas l’amour en sortant avec le monde entier ».
Solange BORSOTTO pour « Croque Monsieur » met en exergue une autre spécificité de MURAT …
S.B. : On te dit timide …
JLM : Je le suis beaucoup. J’essaie de surmonter ma timidité en faisant du bruit, en parlant beaucoup. C’est une façon un peu idiote de cacher une timidité un peu maladive qui, au moment de l’adolescence, me jouait un peu des tours. Mais aujourd’hui, je suis toujours aussi timide ».
Dans un extrait d’interview paru en 1992 (?) dont je n’ai pas les références MURAT précise : « Plus on la ferme, moins on dit des conneries. Je n’éprouve pas le besoin d’être surexposé … Et puis, mon discours n’est jamais le même. Je change d’avis pratiquement toutes les heures ».
En Janvier 1992 dans les colonnes du magazine « Rock & Folk » Alain GALES interroge le sieur de Douharesse …
A.G. : Tu donnes l’impression de pouvoir être dangereux !
JLM : Je disais hier que j’étais un cobra et ça faisait rigoler, mais je peux être assez … Je suis pas ce genre mélancolique, mou machin qu’on pourrait croire. Quand il faut être une salope, je peux être une salope. Je suis assez cruel aussi et violent. Mais je sais bien, tes collègues viennent me voir et pensent qu’ils vont rencontrer un genre de mec en coton. Un mec souffreteux, bien malade de la tête ! Mais non ! ». (…) « J’aimerais bien recommencer à faire l’acteur. Ca changerait les idées ! ». (…) « J’aime aussi être de mauvais goût parfois. Je trouve que c’est assommant d’être toujours de bon goût, de dire ou faire toujours des choses convenues. Et puis, ça vient aussi de mon ancrage Auvergnat, des personnes âgées du coin, pour qui le bon goût Parisien ou de la variété ne veut rien dire et qu’elles trouvent de mauvais goût. En fait, j’ai vachement de mal à faire la différence entre le bon et le mauvais goût ».
Fin décembre 1993, lors d’une interview accordée à Pierre GRENARD juste avant son passage à « La Cigale » (concert clôturant sa 1ère tournée), il proclame : « Ma première et dernière tournée. J’y vais parce qu’on me prend pour un dégonflé. Alors je préviens : je ne recommencerai plus ! ». En novembre 1993, pour « Globe Hebdo » le chanteur précise à Sylvain ROSENTHAL les raisons de son mal être lorsqu’il se produit en public : « Quand je suis sur scène, j’ai l’impression d’être un imposteur. C’est presque un autre métier. On ajoute de la fausseté à des chansons qui devraient rester telles. Finalement, je suis extrêmement gêné de chanter ». Tant et si bien, qu’au cours de cette première tournée, lors d’un concert à Aurillac, MURAT va jusqu’à apostropher le public : « Vous êtes surs que je ne vous ennuie pas avec mes histoires ? ». Il pousse le bouchon plus loin et va jusqu’à déclarer à Yvon BERTON en cette fin 93 : « Les gens, je n’aime pas les regarder ! ». Pour un chanteur, homme public s’il en est, voilà qui ne manque pas de piquant.
MURAT aime à enfoncer le clou, à manier le paradoxe. En 1993, dans les colonnes de « Télé-loisir » il clame : « Je peux très bien penser deux choses contraires en même temps ». (…) Au sortir d’une première partie de tournée il reconnaît : « Je n’ai pas tellement aimé être sur scène, mais maintenant que je n’y suis plus, je me sens tout chose ». Lui qui nous avait tant dit « Jamais ! » serait-il déjà en manque ???
En 1994, le « bougnat » répond à cette question de France MOSCONI : « Avez-vous toujours peur du regard des autres ? ». Réponse : « Plus que jamais ! C’est le paradoxe des activités artistiques : vouloir rester caché tout en se montrant, avoir envie de se taire tout en parlant, être reconnu tout en essayant de rester en retrait ».
Un peu de constance, de cohérence ??? En voici dans cette phrase délivrée à Laurence FERAT pour « Téléstar » : « La musique n’est pour moi qu’une prolongation des mots ».
Poursuivons notre route … Pour les « Inrockuptibles Hebdo » (n°4 avril 1995) Richard ROBERT reçoit cette confidence de MURAT : « On ne peut pas se refaire ». (…) « Je n’éprouve pas le besoin de lutter contre mes contradictions ».
Dans un article publié par « Rétroviseur » (n° 61 juillet/septembre 1995) le critique Jean-Pierre NICOL dresse ce portrait édifiant du chanteur MURAT : « Profondément décalé, baroudeur et taiseux, ou tout simplement rêveur, dédaigneux, voire renfrogné, un brin narcissique, Jean-Louis MURAT s’extirpe lentement de ses contradictions pour évoluer vers la lumière, fut-elle factice, des scènes qui l’attisent et le brûlent, assumant par la même sa fragilité d’homme phalène ».
En Juin 1995, en préambule d’une interview accordée à Sabrina SILOMO l’Auvergnat lui confie : « Quand on vit en société, le minimum de civilité c’est d’être agréable ». Au préalable il tente d’expliquer pourquoi il enchaîne les chansons, sans laisser le temps aux spectateurs de dire leur contentement : « Je n’aime pas cette flatterie un peu mièvre de l’égo qui consiste à se faire applaudir à tout va. Personnellement, je vais au concert avec mes oreilles, pas avec mes mains ». (!!!)
Dans le n° 71 des « Inrockuptibles Hebdo » daté de septembre 1996, voici ce que nous conte le journaliste Richard ROBERT … Alors qu’il est à discuter à bâtons rompus avec MURAT ce dernier s’exclame : « Tu vois comment tourne la discrimination là ? C’est le problème de ma petite carrière. Je m’étonne qu’on ne me juge qu’en fonction de ce que je vis ou de ce que je dis ». Plus après il renchérit : « Je ne devrais pas parler autant ! ». Il termine : « L’idéal serait de ne jamais donner d’interview ! ». Le critique prend la plume pour nous dresser ce constat intéressant : « On ne verrait là qu’une anecdote sans épaisseur si elle n’était symptomatique d’un discours qui marche volontiers à coups de paradoxes, de tête à queue, de ruptures d’adhérence ». (…) « Le chanteur plusieurs fois dira le zig pour affirmer plus loin le zag avec la même bonne foi, la même assurance. Les exemples pullulent. MURAT assène que l’expérience est une plaisanterie, que ça n’avance à rien, qu’on reste toujours planté dans sa propre boue. Une heure avant, il aura pourtant longuement exposé ses rêves de progression musicale, de conquêtes, de changements. MURAT prétend avoir circonscrit tous ses problèmes. Mais au détour d’une phrase, il dit toute son impuissance à ne pouvoir faire le tour de lui-même. Et ainsi va sa parole, rétive aux lignes droites, au courant continu ».
Le message n° 64 de la Dolo nous apprend que dans les colonnes du magazine « Vibrations » (1997) Jean-Louis MURAT évoquant les Etats-Unis déclare : « Je ne veux pas effrayer mon public. Mais je suis impatient. J’ai déjà masterisé « Dolorès » à New-York dans le studio ou Dr DRE a fait le sien pour avoir plus de pêche. Mais je ne vais pas m’arrêter là. J’ai envie d’aller de l’avant. J’ai rencontré les rappeurs de « 2 Bal 2 Neg » et je veux aller vers cette scène, sans la singer bien sur ».
Pourtant, en novembre 1993 dans les colonnes de « Rock Sound » répondant à cette question : « Un jour tu as assimilé les fondements même du rap à une musique fasciste … « Il embraye avec malice : »J’ai dit ça moi ? Peut-être à cause de la façon de chanter, de tchatcher. Tu as toujours l’impression quand tu écoutes un disque de rap que le mec t’engueule et moi je lui réponds : « Calme-toi, je t’emmerde ». Et, il te donne des conseils, fais ceci, fais celà, danse comme ci et blah blih et blah blah. Ce langage là m’emmerde et cela ne fait pas avancer les choses. Je n’aime pas les insultes, cette musique provoc avec cette façon de piquer des trucs à gauche, à droite, de trafiquer. Cela ne m’intéresse vraiment pas. Cela me fait penser à ces émissions sensationnelles d’Histoires parallèles qui passent sur le Sept où on voit le même évènement traité dans des actualités russes, américaines, françaises et allemandes où quasiment avec les mêmes images et des commentaires et un montage diamétralement opposés, le sens est détourné. Avec les samples vus comme des techniques de montage d’ailleurs le détournement devient très facile. Je trouve ça réducteur. Et puis cette logorrhée verbale fait soixante huitarde. Je me sens étranger à cette poésie ».
Voilà à n’en pas douter un jugement définitif … Cela ne l’empêche pas, en septembre 1996 pour « Les Inrockuptibles » répondant aux questions de Richard ROBERT de déclamer : « La musique d’aujourd’hui c’est le rap : même si ce n’est pas toujours maîtrisé, historiquement c’est d’une gravité intense, totale, fondamentalement désespérée ».
A la sortie de « Mustango » MURAT décide de chanter à nouveau en public. Le 24 août 1999 il répond aux questions de Bertrand DICALE pour « RFI ». L’une des interrogation aborde la tournée qui s’annonce : « Il y a quelques années, à votre première tournée, vous disiez n’y pas prendre plaisir. Vous serez sur les routes en Octobre, vous avez changé d’avis ? ». Réponse du Brenoï : « Maintenant, c’est la tournée que je préfère. J’ai hâte de remonter sur scène. La dernière fois quand on a arrêté, ça me manquait chaque soir de ne pas monter sur scène ».
En septembre 1999 dans les colonnes du journal « L’Humanité » MURAT fait cette mise au point : « La scène – » Je fais des disques pour pouvoir faire une tournée. D’accord, je vous ai dit le contraire la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Qu’est-ce que je pouvais être bête de ne pas aimer la scène. Maintenant c’est tout le contraire. Si changement il y a, il est là. Autrefois, je chantais pour moi, aujourd’hui je chante pour les autres ». (Propos recueillis par Zoé LIN et Dominique SEVERAC). Voilà qui clôt le débat il me semble. Ce revirement complet étant plus à interpréter comme une évolution qu’une véritable contradiction.
Dans le cadre de la campagne promo de « Mustango » (fin 1999) Patrick AUFFRET l’interroge : « Vous êtes un chanteur à textes ? ». MURAT s’insurge : « Ah non, je déteste cette appellation. Je me considère comme un musicien auteur-compositeur. Ecrire des paroles n’est pas la partie la plus importante de mon job même si je les écris toutes ». (…) « Cela ne me viendrait pas à l’idée d’écrire un texte séparément de la musique. D’ailleurs, je déteste avoir une musique sans texte ou un texte sans musique ».
Un proverbe de la Dolo nous dit : « Pour comprendre MURAT il faut accepter les contradictions comme une chose naturelle et jubilatoire ». J’arrête donc là l’énumération des cas concrets où MURAT a été pris en flagrant délit de contradiction. Les exemples sont légion … Le proverbe de la « Dolo » conserve malheureusement … toute sa pertinence. Pour autant sur l’essentiel que sont la fidélité en amitié, la franchise, la droiture, l’honnêteté … MURAT est un homme constant, cohérent. Pour « réussir » dans le monde musical d’aujourd’hui, il faut très certainement avoir d’autres qualités … si tant est qu’il s’agisse de qualités : un minimum de talent (il en faut quand même), de l’à-propos, de l’entregent, de l’opportunisme … et surtout : être assez faux cul pour ne pas l’ouvrir chaque fois que vous n’êtes pas d’accord. Avoir sa liberté de pensée en ce milieu n’est pas gage de réussite. Jean-Louis BERGHEAUD pousse le bouchon un peu loin. Etre un homme public, être chanteur et avoir de fait des visées commerciales, nécessite sans doute un peu de retenue. Il n’y a pas pire ennemi pour MURAT (l’homme public) que BERGHEAUD (le fils de paysan) … Ce propos de fin … n’est nullement péjoratif. Ne change pas MURAT ! Lors de la prochaine promo ne dit pas trop de conneries … ne parle pas des autres … Laisse BRUEL, GOLDMAN, CABREL et consorts là où ils sont … J’espère au moins que ce vœux pieux sera exaucé !
Ajout le 14 avril 2013 …
Et c’est vrai qu’au jour d’aujourd’hui, dans le cadre de la promo de l’album « Toboggan » MURAT à donné dans le « soft ». Dans les colonnes du magazine « Magic » d’avril 2013 il évoque les contradictions qui le taraudent : « Souvent pour meubler en interview je dis une chose et son contraire. C’est le seul moyen de révolte qui me reste, la contradiction. Je la surutilise, c’est un grain de sable dans la machine qui laisse tout le monde comme deux ronds de flanc. Je le fais même à la maison, j’aime beaucoup. Avec moi, ça marche comme ça : il faut faire chier. Depuis que le monde est entièrement libéral, il n’y a plus de contradiction … ça doit dater de la chute de l’URSS comme disent les intellos ».
Le 10 mai 2013, dans les colonnes du journal « Le courrier Picard » MURAT confie à Philippe LACOCHE : « Je suis assez contradictoire au quotidien. je n’ai jamais voulu privilégier une façon d’être. Je suis à la fois tendre et très violent depuis l’enfance. j’essaie de faire au mieux avec ça. Faire des disques ça me discipline« .
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Ajout le 17 mars 2015 …
Le 4 mars 2015, en concert chez nos amis Suisses MURAT se confie au journaliste Jean-François ABELDA pour « Le Nouvelliste.ch ». Les contradictions du chanteur Auvergnat sont une nouvelle fois au programme. Voici ce qu’il déclare : « Je sais que j’ai, depuis l’enfance, des comportements ou des propos qu’on juge contradictoires. Je ne conçois pas cette idée de contradiction. J’aime beaucoup avancer comme ça, en allant de paradoxes en paradoxes, de contradictions en contradictions. Ca alimente bien mon petit moteur. Beaucoup de gens ont du mal à comprendre ça. Moi, la contradiction me paraît naturelle. J’ai autant d’huile que d’eau dans la tête, ça ne se mélange pas, mais parfois ça converge et ça forme une force positive. J’ai toujours fonctionné comme ça. Les gens autour de moi sont toujours un peu médusés … J’adore prêcher une chose et faire le contraire ».
MURAT … éternel gamin …
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Ajout le 24 mars 2016 …
Extrait de : « French lynx » … Album « Morituri » … (2016).
(…)
« Vite tu penses une chose/Tu penses son contraire
Tu passes ton temps à faire/Encore plus à défaire ».
(…)
Avec des mots simples, en deux lignes, MURAT a tracé de lui le portrait d’un homme qui se contredit en permanence. Le talent est dans la simplicité. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – Et les mots pour le dire arrivent aisément ». C’est ce qu’écrivait Nicolas BOILEAU-DESPREAUX (1674).
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Merci, Didier pour ce très long article qui traite d’un sujet ô combien important chez Murat, je dirais, sa vie/ son oeuvre n’est qu’un grand paradoxe… »j’adore qu’on m’aime, j’aime assez qu’on ne m’aime pas » « je remplis des salles de 400 personnes mais j’aimerais jouer devant 10 000″… eh oui! mais cela ne me choque pas le paradoxe, je trouve que la vie est un paradoxe ! puisque ça se finit toujours mal (…)chaque pièce est composée d’un côté pile, d’un côté face, on peut imaginer JLM tournoyer sur lui-même comme la pièce de monnaie quand on la jette et que les faces tournoient au point de se confondre… le pile et le face, le jour et la nuit… nous sommes fait de cela, de chair et d’âme, d’élévation et de bestialité, d’amour et de haine … tout cela fait partie d’un grand tout, un peu comme les fleurs des champs, toutes différentes mais qui forment un joli bouquet quand on les voit ensemble… que serions-nous si nous étions unis, lisses, cohérents ? où serait l’intérêt, l’excitation de la découverte, le plaisir de l’introspection ?… on a tendance a se distancier un peu de JLM lorsqu’il fait montre de paradoxe en public soit parce qu’on ne le comprend pas, soit parce qu’on pense qu’il cherche à provoquer … mais je remarque, qu’au final, c’est au sein de ses contradictions qu’il est le plus sincère ! qu’il est le plus humain, le plus lui-même ! et c’est courageux de montrer ses paradoxes parce qu’il s’expose à la critique, au jugement, il y a un fond de candeur en lui qui est touchant…Moi, j’aime particulièrement cet aspect de sa personnalité. C’est lui, sa musique est ainsi, ses textes énigmatiques sont ainsi … et c’est très bien.
Merci pour ton blog, Didier qui traite d’articles de fond sur Jean-Louis que nous aimons tous.
Florence,
merci pour ce remarquable commentaire. Ce sont les mots que je cherchais … les mots que je n’avais pas su trouver … voilà un commentaire qui enrichit celui qui le lit … Je lis, je relis, c’est tellement vrai ce que tu dis … encore + vrai le parallèle entre paradoxe et sincérité … La sincérité c’est une des qualités premières de JLM …
Bonne soirée à toi.
Didier.
Dernière publication sur : Jean-Louis MURAT ... il aime ... il n'aime pas ...
Merci Didier.
en effet, je suis très sensible à cet aspect de sa personnalité qui trouve des résonnances en moi.(je me suis un peu fourvoyée, j’ai posté ce commentaire sur un autre article, celui sur son anniversaire, oups!)Sinon, Didier, je voulais dire que ce qui nous enrichit c’est la communication !… entre les uns et les autres, ce que tu dis, ce que je dis, ce que l’autre dit, c’est ça qui fait ce beau brasier de connaissances et de ressenti qui nous élève !!bon dimanche à toi.
Florence
Ajout du 24 mars 2016
Je n’ai pas l’impression que cette phrase du French Lynx s’adresse à lui mais plutôt au peuple moderne si inconstant et si frivole, qui n’a plus d’épaisseur, plus de cerveau, qui se laisse manipuler si facilement….
Je me suis posé la question … il est fort possible que tu ais raison Flo. Avec MURAT il y a souvent plusieurs fenêtres ouvertes …
D