- 22 – Jean Louis Murat … « Il faut aimer ce qui nous a fait » … 2ème partie …
S’agissant de littérature l’Auvergnat n’a pas que des références françaises. L’un des premiers écrivains qu’il cite volontiers est de nationalié Américaine. Il s’agit de :
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William BURROUGHS
Né le 5 février 1914 à Saint Louis dans le Missouri, il meurt le 2 août 1997 à Lawrence dans sa propriété du Kansas. Connu pour ses romans mêlant drogue et homosexualité, il utilise la technique du “cut up” qui consiste à créer des textes à partir d’autres fragments textuels de toutes origines. Il ambitionne de faire faire à la littérature la même révolution que la peinture lors du passage à l’abstrait.
Né dans une famille bourgeoise, il fréquente l’Université d’Harvard où il obtient une licence de littérature anglaise en 1936. Il déteste cette période passée Outre-Manche. En 1944 il fait la connaissance de Jack KEROUAC et antame une période de consommation d’héroïne. Il épouse Joan en 1946 avec le projet de fonder une famille. Ils ont un fils en 1947. Il tue accidentellement sa femme d’une balle en pleine tête alors qu’il essayait de reproduire l’expérience de Guillaume TELL (!!!). Il est arrêté et passe une courte période en prison. Libéré, il s’ensuit une période d’errance à la recherche de drogues. En 1956 il subit un premier sevrage. Il emménage au “Beat Hôtel” à Paris. Il accumule des masses de fragments de pages manuscrites. Avec l’aide de KEROUAC et de GINSBERG il fait éditer “Le festin nu” qui constituera son oeuvre majeure.
Dans les années 1980/1990 il devient l’icône de la culture pop. “Le festin nu” qui parle de modifications corporelles, d’orgies homo est très certainement l’oeuvre la plus aboutie de BURROUGHS. Elle est représentative des mondes parallèles angoissantrs et distordus dans lesquels il plonge ses obsessions. Les chapitres de ce livre sont des fragments de textes plus ou moins cohérents, n’ayant aucun lien entre eux. Certains chapitres sont des descriptions vagues de moments de drogue … le tout sans queue ni tête.
Avant d’être à la mode et d’être courtisé par ceux la mêmes qui l’ignoraient … BURROUGHS aura été reconnu par certains dont MURAT …
Extrait de ”Festin nu” (1959).
“Gentil lecteur, le verbe va se ruer sur toi, te broyer avec ses griffes d’homme léopard, t’arracher doigts et orteils comme on fait aux crabes opportunistes, te pendre au gibet et happer ton foutre comme un chien scrutable, s’enrouler autour de tes cuisses à la manière d’un crotale et te seringuer un dé à coudre d’ectoplasme ranci”.
“Eh ben figure-toi y’a un type qui est venu ce matin, un type de la ville habillé de façon plutot gueularde il avait une ordonnance qui avait pas l’air sérieux même qu’elle était écrite sur du papier cul alors moi PARKER je lui ai dit aussi sec : “Monsieur moi j’ai idée que vous êtes un camé”.
Extrait de “La machine molle” (1968).
“Dans une société où les gens ont plus ou moins ce qu’ils veulent sexuellement, il devient difficile de les motiver à acheter des réfrigérateurs et des voitures”.
“L’ai fait cinq fois avec lui sous la douche bulles de savon de chaire d’oeuf tremblement sismique coupé en fissures giclées de foutre …”
Extrait de “Interzone” (1991).
“Alors je rameute mes vieux potes et on passe de chouettes soirées à écouter la machine à laver nous seriner Sweet and Low et lessiveuses’s Boogie ; et la sinistre écrémeuse, vivant fossile, aussi aigrie que du beurre de yak rance, cavale après l’aspi, feulant tel un léopard. La banlieue renferme assez d’horreurs pour rassasier un millier de castrats”
“Ultimes paroles” (1996 et 1997).
“Ecrire n’est rien d’autre que ça, non pas une évasion, hors de la réalité, mais une tentative pour changer la réalité, de sorte que l’écrivain peut s’avader des limites de la réalité”.
“La vérité est là quand tous les mots sont effacés. Les mots ont été faits pour mentir”.
“Sans friction, sans conflit, n’importe quel système s’arrêtera”.
“Pour moi le péché le plus impardonnable est le mensonge parce que, tout comme la fausse-monnaie, il dévalue la vérité”.
Non conformiste, cet écrivain “US” adepte des mots déjantés aura également participé à la construction de MURAT …
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Frédérich Wilhelm NIETZSCHE
C’est par l’intermédiaire de sa compagne Laure DESBRUERES que MURAT s’initie puis se passionne pour l’oeuvre du poète et philosophe allemand Frédérich NIETZSCHE …né le 15 octobre 1844 à Rocken en Saxe … meurt le 25 octobre 1900 à Weimar. Le principal de son oeuvre est une critique acerbe de la culture occidentale moderne et de l’ensemble de ses valeurs morales. Peu reconnu de son vivant, son influence est importante sur la philosophie contemporaine continentale.
En 1889 il sombre dans la démence et passe les dernières années de sa vie dans un piteux état mental …
Un court instant revenons à Murat … On ne peut pas dire que ce dernier ait une bonne idée de lui … Il ne se trouve pas beau par exemple … Il va chercher dans ses origines l’explication de sa personnalité “tortueuse”. Sur le site web de “Radio Flux 4″ il déclare : “Robert de Montesquiou revendiquait le droit de se complaire dans un art aristocratique de déplaire. Moi je ne le cherche pas spécialement, mais je sens bien que je frôle un comportement comme ça. Je n’ai pas vraiment d’amis. Il y a quelque chose dans ma nature qui fait que les gens ne s’attachent pas à moi. Je suis le mec largué par excellence. J’ai tellement peur d’être apprécié ou qu’on m’aime, que je reste dans un entre-deux un peu con. Ma première chanson écrite commençait par : “Je voudrais être pris pour un autre ou que l’autre soit pris pour moi”. J’aime qu’on m’aime et déteste ceux qui m’aiment. je n’en suis jamais sorti et je ne suis pas assez intelligent pour comprendre vraiment ça. j’ai un défaut de fabrication hérité de tous les alcooliques et de tous les suicidés de ma famille. Je suis d’une de ces familles alcooliques auvergnates qui ont baisé entre cousins depuis des générations. je suis un peu dégénéré, décadent et j’ai des comportements irrationnels que j’ai beaucoup de mal à comprendre. La génétique c’est important …”. Voilà effectivement un portrait peu complaisant …
Voici deux auto-portraits de MURAT qui valent mieux qu’un long discours …
Noir c’est noir …
Loco … loco … (???)
Sur le premier portrait on devine un homme torturé, sur le second il nous fait clairement comprendre qu’il est fou … qu’il lui « manque un grain » … Je pense qu’il est sincère, je suis certain qu’il ne joue pas un personnage.
En 2002, dans le cadre de la promo du disque « Le Moujik et sa femme » MURAT confie qu’une récente immersion dans l’oeuvre de NIETZSCHE lui apporte une forme d’apaisement : « Lire les philosophes apprend à maîtriser ses idées ». A la même période pour « Chronicart.com » il déclare : « Je n’ai jamais fait de philosophie, je n’y connais rien, mais ma copine a une espèce de bibliothèque de philo, et je me suis plongé la-dedans l’année dernière, et notamment dans NIETZSCHE que j’ai beaucoup lu ».
J’ai également lu que « Le gai savoir » écrit par le philosophe allemand faisait partie de « ses livres de chevet ».
Lire NIETZSCHE nous ramène invariablement à l’univers de MURAT. Le mots et le sentiment « amour » sont sans conteste les plus usités par le chanteur auvergnat … Qu’en dit le philosophe ?
« Tout ce que l’on appelle amour – avidité et amour ! quelle différence dans les sentiments qui nous saisissent à chacun de ces mots ! Et pourtant, ne s’agit-til pas dans les deux cas du même instinct sous ces deux noms différents ? Le 1er nom ne vient-il pas de ceux qui possèdent déjà, chez qui l’instinct de possession s’est déjà un peu calmé et qui craignent maintenant pour leurs « biens » ? Le second des insatisfaits et des avides qui le trouvent bon ! Notre amour du prochain – n’est-il pas un désir impérieux de nouvelle propriété ? Nous nous lassons peu à peu de ce que nous possédons depuis longtemps en toute sécurité, et nous nous mettons à étendre de nouveau les mains ; même le plus beau paysage où nous vivons depuis trois mois n’est plus certain de notre amour, et c’est un rivage lointain qui excite notre avidité. L’objet de la possession s’amoindrit généralement par le fait qu’il est possédé. Le plaisir que nous prenons à nous même veut se maintenir en transformant en nous même quelque chose de toujours nouveau. C’est là ce qu’on appelle posséder. Se lasser d’une possession, c’est se lasser de soi-même(…) C’est l’amour sexuel qui se révèle de la façon la plus claire comme désir de propriété : celui qui aime veut posséder, à lui tout seul, la personne qu’il désire, il veut avoir un pouvoir absolu tant sur son âme que sur son corps, il veut être aimé seul et habiter l’autre âme, y dominer comme ce qu’il y a de plus élevé et de plus admirable. Si l’on considère que cela ne signifie pas autre chose que d’exclure le monde entier d’un bien précieux, d’un bonheur et d’une jouissance (…) ; si l’on considère enfin que, pour celui qui aime, tout le reste du monde semble indifférent, pâle, sans valeur qu’il est prêt à tous les sacrifices, à provoquer partout le désordre, à brader tous les intérêts : on s’étonnera que cette sauvage avidité ait été glorifiée et divinisée ». (Extrait du « gai savoir »).
En écho, ces paroles de MURAT qui, parlant des paysages évoqués par NIETZSCHE au titre d’exemple, nous dit ceci :
« Les paysages sur lesquels on ouvre les yeux, quels qu’ils soient laissent une marque indélibile. Quand je vois les paysages d’Auvergne, je retourne en enfance, je retrouve mes racines. Mais les paysages sont aussi importants quand ils te manquent. J’aime bien voyager, bouger, jusqu’à ce que ces paysages me manquent, jusqu’à ce que que j’en rêve. Ensuite, lorsque je retourne chez moi, la première heure je regarde tout, et puis je me réhabitue. Après, je suis à nouveau obligé de me désintoxiquer de ce qui me paraît naturel, et je repars …
Mais on n’échappe pas aux paysages de son enfance. J’habite dans la montagne, en Auvergne, et j’ai été élevé dans une ferme au milieu des animaux, des fleurs, etc. Les animaux, les fleurs, les arbres, les nuages, l’eau, la neige, c’est mon quotidien. Et mes voisins sont des paysans, avec qui on ne parle que de ça : si l’orage est passé, s’il a neigé, si les frênes poussent, s’il y a des perces-neiges, cette année … »
La références aux paysages et ce qu’ils en disent à tant d’années d’intervalle est saisissante … Et nous parlions de quoi ??? … de l’amour !!!
Je laisse à votre sagacité quelques citations du philospohe :
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« Ce qui m’importe, c’est l’éternelle vivacité et non la vie éternelle ».
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« C’est perdre de sa force que compatir ».
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« Les convictions sont des prisons ».
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« Tout acte exige l’oubli ».
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« C’est de nos vertus que nous sommes le mieux punis ».
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« Le génie réside dans l’instinct ».
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« Parler beaucoup de soi peut être un moyen de se dissimuler ».
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« Ce qui se dit la nuit ne voit jamais le jour ».
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« Le christianisme et l’alcool, les deux grands agents de corruption ».
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« L’homme souffre si profondément qu’il a dû inventer le rire ».
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« La métaphysique, la morale, la religion, la science, sont considérés comme des formes diverses de mensonge : il faut leur aide pour croire à la vie ».
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« Ce qui me bouleverse, ce n’est pas que tu m’aies menti, c’est que désormais, je ne pourrai plus te croire ».
En définitive, il me semble que BURROUGHS mène MURAT vers les chemins de la déraison et NIETZSCHE vers ceux de la raison … Je me trompe peut-être (???)
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Kristof KIESLOWSKI
Des personnes admirées par MURAT ce n’est sûrement pas le plus connu, mais incontestablement celui à qui l’Auvergnat aura rendu le plus bel hommage, le plus poignant en tout état de cause. Voilà en quels termes il parle de ce cinéaste Polonais (auteur de la trilogie « bleu blanc rouge), né le 27 juin 1941 à Varsovie et décédé le 13 mars 1996 : » C’est sans doute ma plus belle rencontre et mon plus grand regret puisqu’il est mort peu de temps après. C’est lui qui a insisté pour que je chante la chanson de « Rouge ». Il m’a emmené à Varsovie avec lui. J’ai chanté, il me tenait par la main. Je m’en souviendrai toujours. Il me disait que j’étais un ange et qu’il voulait travailler avec moi. Je tombais des nues si j’ose dire. Au retour de Varsovie je n’étais plus le même mec. C’était la première fois qu’un type que j’admirais prêtait autant attention à moi. Il m’a parlé de choses qu’il savait que je portais en moi et dont je n’avais pas conscience. Quelle bienveillance ! ».
Les choix artisitiques du cinéaste sont une réponse à l’opacité du système. Ce qui l’intéressait en Pologne pendant les années 1970 c’était le « monde non représenté » …
Avec KIESLOWSKI … je pense avoir fait le tour de ceux qui, en dehors du cercle familial … ont fait MURAT … et permis au berger de devenir poète et chanteur. Comme toujours, la clef qui ouvre toutes les portes … il faut aller la chercher dans son enfance. Dans le cadre du projet financé par Mylène FARMER « Murat en plein air » … il fait parler sa grand mère … Si j’ai bien compris le p’tit BERGHEAUD « devait rester 4 – 5 jours chez les grands-parents » … en définitive ce seront des années, qui marqueront de manière indélibile le »Jean-Louis » …
En préambule de « Dordogne » il nous est donné de voir un paysage de campagne et de montagne … puis un plan fixe sur une citerne et un bac d’eau où les vaches allaient se désaltérer. C’est tout un symbole … l’eau source de vie … l’eau ou le p’tit Bergheaud voit le reflet de son image … l’eau de la la citerne où du bac … ou le fils de paysan peut s’ébattre en parlant avec les vaches … c’est sa piscine à lui … Quelques secondes plus loin c’est la Dordogne qui chante … Dordogne où MURAT s’est amusé, ébroué … petit garçon heureux qu’il était …
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Ajout le 22 juillet 2016 …
Ces deux pages ont été écrites en 2011. Elles faisaient partie des toutes premières où j’essayais modestement de faire partager mon amour des mots de Jean Louis MURAT. Dans chacun de ses albums MURAT se nourrit encore des souvenirs de son enfance. C’est sans doute le cas de tous les artistes. Pour MURAT c’est bien plus prégnant encore, il me semble. Mais force est de reconnaître que je ne suis pas le meilleur juge. « Grand lièvre » (2011) mène à la guerre 14 – 18 … aux récits de ce héros, le frère de son grand-père mort sur les champs de bataille. C’est à lui que le p’tit BERGHEAUD doit son nom. Voilà qui ne devait pas être difficile à porter. Dans « Toboggan » MURAT évoque « Loï en 14″ … ou MURAT chante : « Voilà le chant mort des bergers ». Avec « Babel » (2014) … le père de Jean-Louis n’est plus … Il nous conte ses souffrances, ses derniers jours. Il nous chante les pleurs de la grand-mère, l’alcoolisme vécu au jour le jour Dans « Neige et pluie au Sancy » MURAT ose : « Père ne faites pas de misère/A grande sœur à petit frère/Faut pas faire de mal aux petits/Quand il neige au Sancy ». … Les mots choisis et chantés sont très durs. Passé cet album je me suis dit que MURAT avait tout dit, qu’il n’y avait plus rien à dire …
Le 15 Avril 2016 « Morituri » nous est servi. C’est un MURAT un tantinet désabusé qui, dans « French lynx » écrit : « Au temps que tout emporte/ Rien ne tient le contre-courant/Dans la vie d’ici ». C’est comme ci chanter ne lui donnait plus de plaisir … « Morituri » ??? Désigne : « celui qui va mourir » !
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Ci dessous le chemin du nouveau dictionnaire « Muratien » …
http://didierlebras2.unblog.fr/
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pas besoin de demander à qui que ce soit d’écrire la bio de Jean-Louis… tout est ici, sur ton blog et bien plus encore! Franchement, je te tire mon chapeau.
Et si Jean-Louis découvre ce site, qu’il n’hésite pas à apporter son jugement sur ce travail de fin limier!
Merci Armelle …
Je reconnais que je ne suis pas insensible à ce type de commentaire.
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