- 149 – Jean- Louis MURAT … et … « Le pape Musulman » …
En mars 2005 MURAT nous chante « Mockba ». A peine le temps de souffler qu’en mai de la même année il nous offre : « 1829″. Trop plein ? Toujours est-il que cet album hommage à Pierre Jean DE BERENGER passe quasiment inaperçu. C’est bien dommage !
C’est en travaillant sur l’album « Mockba » que l’Auvergnat découvre la chansonnier Français. Le 28 avril 2005 dans une interview accordée à Sophie LEBRUN pour « La Libre Belgique » le chantre d’Orcival confie : « J’étais dans ma période POUCHKINE. » Puis d’expliquer parlant de l’écrivain Russe : « Dans une lettre, il s’étonne : « Il semble que BERANGER sera le plus grand poète du XIXème ». Voilà un avis qui provoque aussitôt la curiosité de MURAT lequel enchaîne : « Je l’ai longuement cherché chez les bouquinistes, via le net. J’ai trouvé sa bio, ses textes, ses textes interdits. Je suis un étudiant frustré. Comme je n’ai pas fait d’études, je me trouve des sujets de recherche, et je travaille en autodidacte ». Et MURAT de conclure : « Cela répond à une curiosité, l’envie de fouiller dans les livres ».
Pierre Jean DE BERANGER (1770 – 1857) …
Des livres interdits ??? Voilà qui me rend curieux à mon tour. DE BERANGER a en effet « commis » un recueil de chansons grivoises (édité en 1823) qui, accompagné de dessins d’un certain VIROT est du plus bel effet. Voilà qui ne transite pas entre toutes les mains et se passe sous le manteau entre gens de bon entendement qui, le plus souvent ont pignon sur rue …
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LES DEUX SŒURS
OU … (LE CAS DE CONSCIENCE).
« Zoé, de votre sœur cadette,
Que voulez-vous entre deux draps ?
Que sans chemise je me mette ?
Fi, ma sœur, vous n’y pensez pas.
Mais à vos fins vous voilà parvenue
Et vous baisez ma gorge nue ;
Vous me tiraillez,
Me chatouillez,
M’émoustillez ;
Mais au fond ce n’est rien,
Je le sens bien, Mais au fond ce n’est rien ».
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« Pour vous en prendre à notre sexe,
Avez-vous mis l’autre aux abois ?
C’est peu que votre main me vexe,
Vous usez pour vous de mes doigts.
La tête aux pieds la voilà qui se couche ;
Ciel ! où mettez-vous votre bouche ?
Ciel ! pour une sœur, Quelle noirceur !
Quelle douceur ! Mais, etc. ».
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« Rougirions-nous ! je le demande,
Si nos amants pouvaient nous voir.
Pourtant il faut que je vous rende
Le plaisir que je viens d’avoir.
Je m’enhardis, car jamais, que je sache,
Je n’ai baisé d’homme à moustache.
Ah ! nous jouissons, Et des garçons
Nous nous passons. Mais, etc. ».
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« Ne croyez pas que je contracte
Ce goût, déjà trop répandu ;
C’est bon pour amuser l’entracte
Quand le grand acteur est rendu.
Ce que je crains, ô sœur trop immodeste,
C’est d’avoir commis un inceste.
Peut-être est-ce un cas Dont nos prélats
Ne parlent pas, Car au fond ce n’est rien,
Je le sens bien, Car au fond ce n’est rien ».
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DE BERANGER n’est guère tendre avec le pouvoir en place. Se moquant de Charles X qui perdait la tête il écrit ce poème séditieux … dont je vous livre quelques extraits …
« Un jour le roi qui se fait vieux,
À son lever, quelle indécence !
Tint des propos séditieux
Dont la cour blâma la licence.
Je veux, disait-il, mettre à bas
Ce ministère malhonnête ;
Le trois pour cent ne me plaît pas…
Et chacun se disait tout bas :
Sa Majesté n’a plus sa tête ».
(…)
« Je veux renvoyer de chez moi,
Peyronnet, Villèle et Corbière.
Qu’ils partent ! je veux être roi
Et gouverner à ma manière.
Je veux ouvrir un libre accès
Même à la pensée indiscrète.
Je veux et la Charte et la paix,
Je veux le bonheur des Français…
Sa Majesté n’a plus sa tête ».
(…)
Voilà qui vaudra à Pierre Jean DE BERANGER le droit de goûter aux geôles royales … Cela aura pour effet principal de le rendre encore plus populaire aux yeux du petit peuple et vaut à ce chansonnier le surnom de : « BERANGER – Le peuple » … et même le titre de : » chansonnier national » …
En avril 2005 pour « Polystyrène » MURAT confie à Philippe SCHWEYER sa passion pour DE BERANGER : « J’ai passé un an avec lui. J’y suis venu par curiosité et depuis, plus je le connais, plus je l’apprécie. C’est un sentimental, un autodidacte, un ouvrier, un modeste (peut-être un faux modeste ?). J’aime sa volonté de vouloir faire passer la poésie dans la vie politique et sa façon de porter ses idéaux Républicains. Il a aussi un franc parler. En plus, c’est l’origine de la chanson Française ».
Non content de ne pas aimer les rois, DE BERANGER n’apprécie pas davantage les hommes d’église. Le portrait qu’il nous donne de ce « Pape Musulman » est à croquer. Qui plus est dans la période que nous vivons, il faut voir dans cette dualité tout un symbole. Chacun veut la prééminence pour son culte, pour son Dieu. Malgré les beaux discours, il ne faut pas se leurrer, nous ne sommes pas prêts d’en changer … Les Dieux n’ont jamais conduit qu’à la guerre … C’était le cas hier … Ce sera encore le cas demain ! On peut le regretter. Il ne faut surtout pas être naïf et vouloir croire le contraire. Ce serait une nouvelle fois baisser la garde et remettre en cause le principe de laïcité qui nous a permis bon an mal an de vivre ensemble. Je propose donc à votre sagacité ce « Pape Musulman » peint par DE BERANGER et chanté par MURAT …
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« Jadis voyageant pour Rome/Un pape né sous le froc/Pris sur mer fut le pauvre homme/Mené captif à Maroc/Fut mené captif à Maroc »
« D’abord, il tempête, il sacre reniant Dieu, bel et bien Saint Père lui dit son diacre/Mais vous vous damnez comme un chien »
« Sur un pal qu’on aiguise/Croyant déjà qu’on le met/Le fondement de l’Eglise/Dis : « Invoquons Mahomet »/Dis : « Invoquons Mahomet »
»Ce prophète en vaut bien d’autres/Je me fais son paroissien Saint Père au nez des apôtres/Mais vous vous damnez comme un chien ».
« Aëe, aïe, on le circoncise, le voilà bon musulman/Sinon parfois qu’il se grise/Avec un coquin d’iman/Avec un coquin d’iman ».
»Il fait de sa vieille bible/Un usage peu chrétien/Saint Père oh c’est trop risible/Mais vous vous damnez comme un chien ».
« En vrai corsaire il s’équipe/Pour le croissant il combat/Prend le sorbet et la pipe/Dans un harem il s’ébat/Dans un harem il s’ébat ».
« Prés des femmes qu’il capture/Voyez donc ce grand vaurien/Saint Père oh quelle imposture/Mais vous vous damnez comme un chien ».
« A Maroc survint la peste/Soudain fuit notre forban/Qui dans Rome, d’un air leste/Rentre dans son beau turban/Rentre dans son beau turban ».
« Souffrez qu’on vous rebaptise/Non dit-il, ça n’y fait rien/Saint Père oh quelle bêtise/Mais vous vous damnez comme un chien ».
« Depuis frondant nos mystères/Ce renégat enragé/Veut vider les monastères/Veut marier le clergé/Il veut marier le clergé ».
« Sous lui, l’Eglise déchue/Ne brûle juif ni païen/Saint Père oh Rome est fichue/Vous vous damnez comme un chien ».
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Le 28 avril 2005 pour « Témoignage chrétien » MURAT confie à Luc CHATEL (l’ancien ministre lequel, avant de donner dans le politique a été journaliste puis rédacteur en chef de cet hebdomadaire) ce qui suit : « On peut aimer beaucoup de choses : une goutte d’eau, le regard d’une femme, la beauté d’une marguerite, Dieu. L’essentiel c’est de savoir mettre un genoux à terre devant la beauté du monde ». Voilà qui est vrai et plein de bon sens. Tout MURAT est résumé là : l’à-propos, le recul suffisant, la lucidité, l’ouverture d’esprit vers l’autre, le refus du sectarisme … Luc CHATEL d’écrire : « MURAT se définit comme un croyant sans la foi« . Puis d’ajouter un sibyllin : « Il a fait baptiser sa fille ». Voilà qui doit avoir de l’importance aux yeux du lecteur.
Mais revenons à DE BERANGER qui défendant la République écrit : « J’ai pris goût à la République/Depuis que j’ai vu tant de Rois/Je m’en fais une et je m’applique/A lui donner de bonnes lois/On n’y commerce que pour boire/On n’y juge qu’avec gaîté/Ma table est tout son territoire/Ma devise est la liberté ».
GOETHE évoquant le chansonnier a ces mots : « Le génie bienfaisant du siècle » . Pierre Jean-DE BERANGER était une vraie star. Il est l’ami du petit peuple mais aussi celui de Victor HUGO - Alexandre DUMAS – CHATEAUBRIANT … Son enterrement se fait sous escorte militaire (le 17 juillet 1857 à midi) par peur que « les petits » qui l’accompagnent en terre n’aient l’idée de se révolter …
En poésie, dans les moindres détails Pierre Jean- DE BERANGER nous conte …
« Mon enterrement » …
« Ce matin, je ne sais comment, Je vois d’Amours ma chambre pleine ; J’étais couché, sans mouvement. Il est mort, disaient-ils gaîment ; De l’inhumer prenons la peine. Lors je maudis entre mes draps Ces dieux que j’aimais tant à suivre. Amis, si j’en crois ces ingrats, Plaignez-moi (bis.), j’ai cessé de vivre. (bis.) » .
« De mon vin ils prennent leur part ; Ils caressent ma chambrière : L’un veut guider le corbillard, Et l’autre d’un ton nasillard Me psalmodie une prière. Le plus grave ordonne à l’instant Vingt galoubets pour mon escorte : Mais déjà la voiture attend. Plaignez-moi, voilà qu’on m’emporte. » .
« Causant, riant, faisant des leurs, Les Amours suivent sur deux lignes : Le drap, où l’argent brille en pleurs, Porte un verre, un luth et des fleurs, De mes ordres joyeux insignes. Maint passant, qui met chapeau bas, Se dit : Triste ou gai, tout succombe ! Les Amours font hâter le pas. Plaignez-moi, j’arrive à ma tombe ».
. »Mon cortège, au lieu de prier, Chante là mes vers les plus lestes. Grâce au ciseau du marbrier, Une couronne de laurier Va d’orgueil enivrer mes restes. Tout redit ma gloire en ce lieu, Qui bientôt sera solitaire. Amis, j’allais me croire un dieu : Plaignez-moi, voilà qu’on m’enterre ».
. »Mais d’aventure, en ce moment, Par là passait mon infidèle. Lise m’arrache au monument ; Puis encor, je ne sais comment, Je me sens renaître auprès d’elle. De la vie et de ses douceurs Vous, qu’à médire l’âge excite, Vous du monde éternels censeurs, Plaignez-moi ; car je ressuscite ».
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Aujourd’hui ils ne sont pas nombreux à connaître celui qui a inventé la chanson Française. Dans les ventes sur offre vous pouvez acquérir ses manuscrits dont cet original pour lequel il vous faudra débourser 15.000 euros …
Comme DE BERANGER nous manque aujourd’hui ! Sur les terrasses on assassine en novembre 2015 – Juillet 2016, Nice et une petite église de France sont le théâtre d’autres tueries. Tout ça au nom de Dieu ! C’est la République qu’on assassine. Et chacun d’essayer de se mettre en avant. C’est à qui ira le plus loin dans la surenchère. Le pouvoir ne sait plus à quel Saint se vouer. Ah on est mal je vous dis …
Le 18 avril 2005, alors qu’il est questionné par Sophie LEBRUN pour « Le Soir belge » MURAT de faire l’amer constat : « Les chansonniers, à l’époque, chroniquaient la vie politique ». (…) « Aujourd’hui, la télé, la radio, la presse font le boulot, donc le champ n’est pas exploitable. En plus, les médias pourrissent l’actualité. Les journalistes donnent une idée de la réalité qui est bidon, et les gens sont esclaves des médias. Après, on peut difficilement dire quelque chose sur l’actualité … ». Les COLUCHE - les DESPROGES … n’ont plus lieu d’être. C’est sans doute pourquoi, ils n’ont pas été remplacés. A quelque iota près tout le monde va dans le même sens : celui du pouvoir, celui de l’argent. Les rares artistes qui osent encore prendre les chemins de traverse sont balayés, oubliés, rayés de la carte. Les portes des radios, des télés se ferment devant eux. C’est pourquoi, à présent on nous sert toujours la même daube, les mêmes « resucés » …
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Salut,à propos de ce CD 1829,la onzième chanson « La petite fée »est un régal d’ironie et la voix de MURAT splendide!
On est d’accord Patrice, bien à toi en ces journées de canicule.
D
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C’est surtout Didier, que les médias qui étaient redevenus libres en France après la seconde guerre mondiale (merci le Conseil National de la Résistance) ont été à nouveau privatisés dans les années 80 (c’est Mitterrand qui autorisa cette privatisation, dont TF1 offert à Bouygues) et sont détenus par de grosses multinationales industrielles, de même que beaucoup de télévisions. A partir de là, le ton des rédactions va dans le sens du système financier et industriel possesseur des dits médias.
Il est donc devenu très problématique et dangereux d’ironiser sur la politique. Didier Porte et Stéphane Guillon, François Rollin, en ont fait les frais dernièrement.
Les médias indépendants qui restent, vivent régulièrement des harcèlements, des pressions (tu prends le Canard Enchaîné, Fakir, Charlie Hebdo) pouvant mener au pire. Nous en avons eu un échantillon macabre récemment.
La notion de liberté d’expression, de satyre et d’humour politique, religieux devient donc plus que denrée rare. Elle est menacée y compris par nos politiques et leurs supporters (financiers, très grosses entreprises).
La démocratie est donc menacée. Et pas uniquement par le fondamentalisme religieux, mais aussi par les politiques qui prétendent défendre la démocratie. C’est tout le problème.
Pour cela qu’on voit surgir des mouvements citoyens comme Nuit debout, qui veulent que la population reprenne en main la démocratie de façon directe, y compris médiatiquement.
Un acte de résistance qu’auraient apprécié les chansonniers d’autrefois.
Je souscris à ton analyse Muse.
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j aime jl murat pour la poésie de ses textes, la musique qu’il compose et son humanitée et le respect de ses convictions, il ne sait jamais trahi
Merci, je me suis permis d’ajouter à la page 115-19 (votre témoignage) … Amitiés.
D
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