- 141 – Jean-Louis MURAT … chroniqueur de son temps …
Le 20 mai 2016, dans le cadre de la promotion de l’album « Morituri » (ceux qui vont mourir), Jean-Louis MURAT répond aux questions de Bastien BRUN pour « RFI ». Avec beaucoup d’à propos le journaliste suggère à MURAT : « Vous vous voyez en chroniqueur de votre époque », comme pouvaient l’être les premiers historiens dans la Grèce Antique ? ». Et MURAT de répondre avec avidité : « Oui, tout à fait. J’ai toujours senti mon métier comme ça ! Avec des petits formats de 3-4 minutes, je pense qu’on saisit bien l’esprit du temps. J’ai toujours aimé les chanteurs presque historiques comme François DE BERANGER, dont j’ai repris les textes. Je sais très bien que le réel s’engouffre à sa façon dans les petites chansons. Je m’en fous si mon disque ne se vend pas et si certains le trouvent prétentieux. Je n’ai pas l’impression d’écrire pour le présent. Pour moi, c’est un travail à visée haute ». Puis MURAT de conclure : « Je pense que je tiens depuis mes premières chansons, la chronique d’une personne issue d’un monde qui est en train de disparaître et qui n’arrive pas à s’intégrer dans le monde qui est en train d’apparaître. Il y a un monde citadin, technologique, qui apparaît, un monde rural plus manuel et de bon sens, qui disparaît, et des points de friction entre les deux ».
Le parallèle entre MURAT et DE BERANGER s’impose à nous. MURAT nous y invite …
Pierre Jean DE BERANGER naît à Paris le 19 août 1780. Il est élevé par son grand-père paternel, tailleur de son état, rue Montorgueuil. Ensuite il rejoint une tante dans la Somme, à Péronne où il suit des études primaires. Il entre comme apprenti chez un imprimeur. Il s’initie à la poésie. Dès l’âge de 15 ans, de retour à Paris, il aide son père, agent d’affaires. Il fréquente une académie de chansons, il écrit ses premiers poèmes. Républicain convaincu, il se réjouit de la prise du pouvoir par BONAPARTE. C’est Lucien le frère de l’Empereur qui va intercéder pour lui et lui permettre d’entrer à l’Institut. Nous sommes en 1804, dès lors il peut vivre de sa plume. Il n’aura de cesse de fustiger les puissants. Cela le conduira à plusieurs reprises en prison. DE BERANGER meurt le 16 juillet 1857. Le lendemain il est enterré sous forte escorte militaire, le pouvoir craignant des manifestations. DE BERANGER est considéré comme le père de la chanson moderne.
« Plus de poète adulateur/Le puissant craindra le flatteur/Nul courtisan ne sera vil/Ainsi soit-il ».
« Les gueux, les gueux/Sont les gens heureux/Ils s’aiment entre eux/Vivent les gueux ».
« Jamais l’exil n’a corrigé les rois ». « J’ai pris goût à la République/Depuis que j’ai vu tant de rois ».
« Sois moi fidèle, ô pauvre habit que j’aime ! /Ensemble nous devenons vieux/Mon vieil ami, ne nous séparons pas ».
Admirateur de BONAPARTE plus que de Napoléon je pense, Jean-Louis BERGHEAUD choisit pour nom d’artiste celui du plus brillant des officiers de la garde rapprochée du Consul : MURAT … Pour son premier album l’Auvergnat ne donne pas dans la demi mesure, il choisit le titre provocateur : « Suicidez-vous le peuple est mort » ! Nous sommes en 1981, un socialiste prend les rênes du pouvoir en France. MURAT n’est pas dupe. Le peuple s’est fait berner. Il le sait déjà !
Voilà un titre « punk » ou irrévérencieux si vous préférez. Le texte ne correspond en rien au titre. MURAT aime ce genre de situation. Il s’en amuse. Mark PERRY (1977) déclare : « Le punk est mort le jour où les Clash ont signé avec CBS ».
« Suicidez-vous le peuple est mort » … Il ne fait aucun doute que le titre se veut provoquant. Nous sommes en 1981, « l’homme à la rose » suscite beaucoup d’espoirs. Très vite ceux-ci seront déçus. MURAT semble déjà avoir fait le bilan de deux septennats. En mettant à la tête de l’état un « Florentin » MURAT fait le pari que le peuple vient de scier la branche sur laquelle il était assis … Il n’a pas tout à fait tort. C’est facile de le dire avec recul. Tenir de tels propos en 1981 voilà qui est « punk » ! Jérôme PINTOUX dans son livre : « Chanteurs et groupes Français des années 90 - Les désenchantés » évoque « Suicidez vous … » en ces termes : « Au début de sa carrière MURAT sort ce titre pétard. Il y chante la fin des illusions politiques« .
Le 8 janvier 1996 François MITTERRAND décède. MURAT écrit une superbe chanson : « Le coup de Jarnac » qui marque cet évènement. Lire MURAT est un régal ! Les mots sont légers, les images effleurent … Jugez en plutôt …
« Quel est ce deuil sur nos âmes
Un mammifère sur le chemin
Un impromptu immémorable
Dans l’antichambre du destin
Dans le pays quelle chamade
Pour la mort d’un florentin ».
Quel est ce deuil sur nos âmes
Quel est ce deuil qui nous tient ? »
« Charmé par le souci de l’âme
Comme OSIRIS, chacun vient
Toucher l’éventail de flammes
La truffe du labrador câlin ».
« C’est la nation la communarde
Qui pleure à la fin du roman ».
(…)
« Ce soir, un peuple seul à la table
Eprouve un désir très chrétien
Pour l’idée vierge, la clocharde
Que tu connais, que tu connais enfin ».
« Quel est ce deuil sur nos âmes .
Est-ce bien le deuil auquel tu tiens « .
Cette vidéo ainsi que celle qui suit, sont dues à une amie exigeante : merci Florence …
1989 donc, après bien des années de galère et c’est peu de le dire, MURAT aspire au succès. Son « Cheyenne Autumn » est dans les bacs. Les critiques sont le plus souvent flatteuses. MURAT ? C’est une nouvelle façon d’écrire des chansons ! Cet album se singularise de la production de l’époque, par son ton, les mots dits, ainsi que ceux non dits, par les sons perçus, volés à la nature ambiante. Pour autant MURAT n’a rien renié de son côté « punk », il nous délivre un : « Déjà deux siècles … 89″ … du plus bel effet !
« Deux siècles d’or/N’ont pu tuer/Ce chant heureux/De la jeunesse
Du corps violent/Des fédérés/J’ai dans mon sang/Le vin de messe
J’ignorais rien/J’ignore tout ».
(…)
Autre titre de cet album : « Paradis perdus » MURAT chante : « Je veux trouver la mort/En voiture de sport ». Voilà qui fait référence à James DEAN icône du cinéma US, lequel trouve la mort à 24 ans, victime d’un accident de voiture. Pour MURAT, pardon Jean-Louis BERGHEAUD, il ne fait aucun doute que James Byron DEAN symbolise le désarroi d’une jeunesse qui aura été le sien aussi. Comment trouver sa place dans une société qui change à pas de géant ? MURAT regrettera ces paroles qu’il juge « simplistes » …
En 1993 MURAT nous offre « Vénus ». MURAT est à la croisée des chemins. Marie AUDIGIER qui était sa compagne ne sera plus que son manager. Jean-Louis et Marie se quittent « bons amis ». Cet album traite de la rupture. Il est un titre remarquable : « Rouge est mon sommeil » … En toute fin MURAT nous lâche : « De Salman as-tu des nouvelles ? ». Le chantre Auvergnat fait référence à Salman RUSHDIE l’auteur des « Versets sataniques » (1988) qui fait l’objet d’une fatwa lancée par l’Ayatollah KHOMEINEI le 14 février 1989, obligeant l’écrivain à vivre sous protection et en clandestinité. Ils ne sont pas nombreux les artistes qui ont eu ce courage …
Avec « Mustango » (1999), MURAT s’ouvre davantage vers l’extérieur. Les promenades avec « Jim » dans le grand Ouest semblent lui avoir fait le plus grand bien. En France, le front national divise déjà les Français. Bruno MEGRET est maire de Vitrolles depuis 1997. La café musique « Le sous marin » est fermé par décision du maire, jugé coupable de programmer : «une musique de dégénérés, développant les mauvais instincts de la jeunesse». Plusieurs artistes de renom lèvent la voix. MURAT ose : « Les gonzesses et les pédés ». Il écrit : « Mais voilà tu nous cherches/Cette fois ci tu vas nous trouver/MEGRET serre les fesses/Voila les gonzesses et les pédés ».
A partir des années 2000 MURAT n’aura de cesse de nous prévenir du danger que constitue le « F.N. ». L’Auvergnat, le plus souvent dans ses interviews nous dit que, faute d’écouter les « braves gens » ceux-ci se retourneront vers les extrêmes et leurs solutions simplistes.
Le 14 décembre 2000 à la Coopérative de Mai MURAT nous donne à découvrir un titre inédit qui ne figurera sur aucun support disque : « Au pays de Giscard ». MURAT nous chante la naissance d’un monstre d’acier à Orcines : « Le Vulcania », sensé revigorer l’économie locale.
(…)
« Il paraît André dit qu’à Orcines/Ils veulent nous construire un genre d’usine
Un truc affreux en fer que veut Giscard/Je te jure quels tocards ».
(…)
Toujours à la Coopérative de Mai le 14 décembre 2000 MURAT offre à ses fans un second inédit : « La complainte du paysan Français ». MURAT y brocarde José BOVE qui de paysan n’a que le nom. Aujourd’hui BOVE est un « col blanc » député Européen qui défend en premier lieux sa petite boutique. MURAT ne s’était pas trompé …
(…)
« On a fait notre p’tit Austerlitz/A Seattle contre la police
Tous derrière notre José bonhomme
Qui t’a mis l’Karl MARX au Roquefort
Hou-hou Cunégonde ».
(…)
Le 11 septembre 2001, les tours du World Trade Center sont victimes des « fous de Dieu ». En 2002 MURAT nous chante « Molly » où il susurre : « Baignade à Cabourg/Jumelles s’écroulent soudainement » …
Nous sommes rentrés dans une autre époque. MURAT l’a bien compris. Dans les foyers Français tous les soirs on regarde « Loft Story » … C’est à n’y plus rien comprendre ! Il n’y a pas que les Ayatollah à craindre. Il y a nos repères qui foutent le camp. Il y a la connerie du monde qui envahit nos écrans et nous pollue l’esprit. Sur le net, les enfants de 12 ans ont accès à tout ce que nous ne savions même pas à vingt ans ! MURAT nous livre son fameux « Baby carni bird » où il dit : « Si tu veux bien vivre dans une poubelle/Y te font une bite en or ».
Cet album sort le 28 août 2006. L’année qui précède aura été difficile pour MURAT qui a perdu des amis, des êtres qui lui sont chers dont Emile son papa de substitution. Cette tristesse se retrouve dans ses chansons. Notamment : « Maudits » où il chante : « Peuples maudits/Que les temps sont mauvais/Je n’y trouve aucun plaisir ».
Le 21 septembre 2009, de retour des States MURAT nous offre : « Le cours ordinaire des choses » dont il dit que : « Il lui va comme un incendie ». MURAT est lucide et le constat qu’il fait de notre société moderne est sans concession …
(…)
Au royaume/Ou tout fabrique du faux »
(…)
« Dans ce purin d’idéaux/Où tout fabrique des sots »
(…)
Sur ce même album MURAT nous dit de façon laconique : « Chanter est ma façon d’errer » … Ce titre se suffit à lui même. En peu de mots le poète sait ramasser des tas d’images et nous conduire avec lui dans un monde où tout est nostalgie.
Le 26 septembre 2011 « Grand lièvre » court dans la prairie. MURAT nous y conte les déboires de ses amis paysans qui n’ont d’autre solution que de mettre la clef sous la porte. Le métier ne nourrit plus son homme …
(…)
« Voilà monde moderne/Et son cul plein de boue
Accusant la montagne/D’être obstacle à la joie
Qui nous toise à travers/Ce devenir sombre »
(…)
« Il faut vendre la terre/Il faut vendre les prés ».
(…)
Avec ce 20 titres MURAT nous conduit au cœur de son pays. Il nous dit tous les troubles qui ont fait son enfance. Dans : « Chacun vendrait des grives » il nous chante : « Que ce monde est con/C’est la fin du village/Par la ville à la campagne ». Et oui le constat est terrible, c’est un monde qui s’en va, celui qui s’ouvre devant nous, qui s’offre aux générations futures est parsemé de tellement d’embûches que cela fait peur !
Le 15 avril 2016 MURAT nous donne à aime « Morituri ». Peut être le dernier album de MURAT. J’allais dire le plus beau. C’est la fin du voyage. Jamais la plume de MURAT n’aura été aussi belle. Il me semble que tous les albums précédents ont conduit à celui ci. C’était inéluctable. Tout comme la connerie des hommes, l’égoïsme des puissants, l’incapacité de nos gouvernants à choisir le bon cap nous mènent à la catastrophe. C’est une sorte de suicide collectif. MURAT s’adresse à la jument comme s’il n’avait plus confiance en l’homme : « Sur la terrasse, sous les cimes/Ou tout bien pesé on t’assassine/Sur la terrasse, sous les cimes/N’y a t’il plus de ciel pour nous foudroyer/Ces novices ».
MURAT en rajoute une couche dans « Tous mourus ». Il nous chante : « La boulange est foutue/Ca ne tient pas/Les braves gens ne viennent plus, on ne sait pas pourquoi ». Comme découragé il assène dans « Morituri« : « Que dis tu courage/Marre de ce voyage ». Dans « Nuit sur l’Himalaya » le chantre d’Orcival accuse : « Quelque gloire de France /Sert de risée » (…) « Nous tenons nos chefs au mépris complet ».
C’est vrai 10 années de SARKHOLLANDE nous ont conduit au désastre. La aussi MURAT ne s’était pas trompé, il nous avait prévenu … A l’inverse de tel ou tel qui aiment voler au secours de la victoire et qui aujourd’hui préfèrent se taire …
Avec tout ça, je ne vous cache pas, moi : « J’ai le cafard » (…) « C’est quoi le cafard/Difficile à dire/C’est comme un buvard/Qui te boit la joie/Te prépare au pire » …
Ajout le 4 janvier 2017 …
Exit SARKHOLLANDE c’est une chance … Faites mon Dieu que nous soyons assez lucides pour choisir le moins mauvais de tous ces bonimenteurs que sont les politiques ! Vœux pieux ? Chose impossible ? Allez, espérons une bonne surprise …
***
Très bel article, Didier ! Illustrations idoines.
A propos de ce que tu écris sur Vénus, je pensais que la rupture avec Marie Audigier avait eu lieu après l’enregistrement ou la sortie du disque. Et que le « break-up album » comme disent les Anglais était le bien nommé Dolorès.
Salut Pierre Emmanuel, bonne année à toi … A la réédition de cette page je viens de lire ton commentaire … Rupture fin 1993 (fin de 1ère partie de la 1ère tournée) … VENUS est déjà écrit et contient tous les ferments de la rupture … « Tout est dit » … « Tu n’aimes plus mon impatience/Tu n’aimes plus mes silences » … « Tu ne m’aimes plus que par mégarde » … Dolores vient consommer cette rupture … Mais déjà Laur est présente dans la vie de MURAT … « Aimer » et « Dieu n’a pas trouvé mieux » … Amitiés signé : D.
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Salut,j’ai lu les 2 pages consacrées à JL MURAT dans le
Dictionnaire amoureux de la chanson française de Bertrand Dicale qui me semblent « résumer » de façon juste et équilibrée le « fait » Murat et montrer l’admiration de Dicale pour la langue muratienne.(On est loin de l’angle de vue de Bataille.)
Salut Patrice, meilleurs vœux à toi et à Madame. Je viens de lire seulement ton commentaire et m’excuse de n’avoir pas répondu plus avant. Entre DICALE et BATAILLE il n’y a pas photo …
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