- 106 – Les chansons de MURAT … (extrait de BABEL) … vues par ses admirateurs/(trices) …
Dans le cadre de la campagne promo de son dernier album « Babel », Jean-Louis MURAT s’est très peu exprimé sur le sens à donner à ses nouvelles chansons. Faute de questions ? Possible ! En effet, il n’est pas évident pour un journaliste de renom ou pas, d’interroger un artiste, qui plus est MURAT, sur des choses aussi intimes que la mort d’un père, l’alcoolisme de ce même père et toutes les violences subies et vécues. Par ailleurs, il n’est pas interdit de penser qu’en « off » MURAT ait fermé la porte.
En décembre 2014 pour la magazine « KRO » le chanteur Auvergnat est amené à répondre à cette question : « Dans Long John tu chantes : « Quittons cet exil que me font les chansons ». Qu’est ce que ça signifie ? ». La réponse reste évasive : « Je devais avoir le blues ce jour là … C’est vrai qu’à la fin la vie est un empilement de chansons ». Voilà qui ne fait pas beaucoup avancer le schmilblick ! Le titre « Long John » conserve donc toute sa part de mystère.
Plusieurs admirateurs de MURAT (désirant conservé l’anonymat) m’ont adressé des mails pour me donner leur version de telle ou telle chanson… Personnellement, jamais je ne me suis risqué à cela. C’est un parti pris. Je ne me sens pas les épaules assez larges pour me jeter dans cette aventure. Les pages « histoires des chansons » ne font que reprendre les propos tenus par MURAT. C’est pourquoi les titres qui suivent, tous extraits de « Babel » font l’objet d’une page à part. C’est un MURAT … « à hue et à dia » … que je vous présente. Commençons donc par « Long John » texte énigmatique s’il en est …
Première tentative d’explication …
LONG JOHN …
Le rapport est implicite avec LONG JOHN SILVER et « l’ile au Trésor ». D’ailleurs la Vénus d’Argent est sans doute ici “ le trésor “mais néanmoins, il m’apparaît qu’il faut lire ce texte à un niveau subtil et non terre à terre. Voici pourquoi …
« Il est temps fuyons
l’île n’est pas déserte John … (Nous ne sommes pas seuls, Jean, la terre est peuplée d’hommes )
retournons au lieu
où rien ne nous attend » … (Retournons dans l’azur, le ciel où ce qui nous attend est impalpable, immatériel)
« Il est temps fuyons
reprenons la mer Long
comme goélands … (Reprenons les aventures que nous avions l’habitude de courir ensemble)
que nous porte le vent ». … (en enveloppe immatérielle, en corps léger, en corps astral qui « vole »comme un oiseau)
« Vivre
tout le long
comme un poisson
dans le secret des mers ». … (ces voyages sont invisibles pour le commun des mortels puisque les vivants à l’état d’éveil ne peuvent voir les corps astraux qui volent autour de nous)
« Vivre
en voyageant
Jean … (encore Jean, le même que dans Michigan ??son compagnon de voyages, son compagnon d’aventures ?
au gré du vent » … (en voyage astral)
« Il est temps fuyons
le chemin de fer John
les ciseaux de feu … (Les ciseaux de feu peuvent être une allégorie pour des éclairs dans le ciel)
la Vénus d’argent ». … (La Vénus d’argent (une femme ?) et le Trésor de l’Ile ?)
« Il est temps partons
sans laisser d’adresse John
Fuyons ce roman ... (quittons la vie terrestre = déjà employé par Napoléon qui avait coutume de dire « ma vie est un roman et quel roman que ma vie ! »)
qui nous mange le temps« … (qui n’est pas très essentielle, l’essentiel se situant ailleurs)
« Vivre
loin de la ville
de ces coquilles
qui se croient trop humaines« . …. (Loin des hommes qui se croient de trop d’importance)
« Vivre loin du chenil … (la terre , le monde, les gens dans leur masse)
Gil
Que font les filles ? … (les filles nous élèvent par leur aptitude à l’amour)
Il est temps fuyons
Je n’ai plus de vie Lee ».
« Je veux voir la mer … ( la mer, ou la mère ?)
retrouver les saisons
il est temps partons
quittons la nacelle … ( la terre)
Neil ».
« Quittons cet exil
que me font les chansons … ( les chansons me permettent de supporter l’existence terrestre, en ce sens elles me permettent de « m’échapper »)
Vivre et m’étourdir
dire et chaque nuit
manger la proie et l’ombre
Vivre et voyager
yeah yeah pour me trouver » … (pas de commentaire, trop personnel)
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Voici une deuxième explication plus terre à terre : « Long John … Bien sûr, c’est une chanson pour son père qui s’appelait Jean *. Une sorte d’invitation à partir ensemble en voyage. Une chanson qu’on imagine composée peu avant l’enterrement du père, peut-être au moment où il agonisait. JLM reprend l’idée du voyage pour se trouver. Souvent l’on dit que pour faire passer un immense chagrin, un deuil, il faut voyager pour se retrouver ».
* Petite erreur puisque le père de Jean-Louis se prénommait Robert.
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Enfin pour le même titre une version plus fouillée : « Long John : Une chanson qui fait référence au pirate Long John Silver et au roman de Stevenson « l’île au trésor ». Dans cette histoire, le jeune Jim Hawkins et sa maman qui tiennent une auberge, découvrent après la mort d’un pirate nommé Billy Bones, une carte maritime dévoilant la cachette du fabuleux trésor du défunt capitaine Flint. Le jeune garçon s’en va trouver le châtelain du village pour lui confier la carte et lui demander conseil sur la conduite à tenir face à cette découverte. Le châtelain décide de partir avec des marins recrutés pour trouver le trésor. Jim l’accompagnera. Mais l’équipage recruté se révèle en partie constitué de pirates, alléchés par le butin, dont un pirate unijambiste, coq ( qui désigne le cuisinier sur un navire), possédant un perroquet vert à la voix rauque, stridente. Ce pirate particulièrement retors, fourbe, violent mais néanmoins bon avec Jim (une sorte de père de substitution) s’appelle Long John Silver. Et il est prêt à tout pour conquérir le trésor en lieu et place du châtelain, de Jim et ses amis. L’action du roman se déroule principalement sur le vaisseau qui emmène le châtelain, Jim, un médecin mais aussi les pirates de l’équipage. Et une partie du roman traite de l’évolution des relations amicales quasi familiale sur la fin, entre Long John silver et Jim. C’est cette relation forte qui devait avoir impressionné et fasciné le jeune JLM dans son enfance à cette lecture, qui lui a fait choisir Long John comme réincarnation de son défunt père et comme héros de chanson. Le prénom du père sert ce choix. Et cerise sur le gâteau, ce choix de titre et cette référence ont déjà été utilisés par le groupe rock Jefferson Airplane au début des années 70, et par Bette Midler (actrice et chanteuse américaine), deux références culturelles et musicales pour JLM. Dans la chanson, JLM incarne le jeune Jim qui supplie Long John Silver de reprendre la mer ensemble comme à l’époque de l’île au trésor. Ce titre est une forme de complainte, enrichie d’un chant de sirène (interprété par Morgane Imbeaud) qui emmène en voyage l’âme d’enfant de JLM et l’âme défunte de son père. Un père fantasmé au plan relationnel puisqu’il n’y a eu sans doute de son vivant entre eux qu’un relationnel relativement distant, sec et durant l’enfance, un relationnel plutôt violent et abandonnique. Alors ce père, il faut que JLM le reconstruise en héros, en héros paternel de préférence, en guide rassurant mais canaille aussi comme l’était le pirate, comme l’était peut-être aussi son paternel, pour le dernier voyage du vieil homme ».
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Bande dessinée année 1954 …
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B.D. ci-dessus page intérieure …
« Le voyage, c’est à la fois refaire le chemin intérieur du lien familial, le réinventer, le revisiter, le retrouver. Mais c’est aussi l’engagement du travail de deuil lié à la perte de ce parent qui a tant manqué à JLM. Une chanson très émouvante qui fait écho à des chansons américaines comme Free Bird de Lynyrd Skynyrd,learning to fly de Tom Petty, des chansons présentes dans un film américain de Cameron Crowe sorti en 2005 » Rencontres à Elizabethtown », qui raconte l’histoire du travail de deuil d’un jeune homme au moment de la mort de son père. A la fin du film, le fils prend la route avec l’urne funéraire de son père et ils partent ensemble pour un long voyage à travers les USA durant lequel le fils va pouvoir expulser ses émotions, vivre un moment intense avec son père comme rarement il en avait passé, se trouver en tant qu’homme et enfin reprendre goût à la vie. Et au fond, la chanson Long John de JLM c’est un peu analogue au voyage de ce personnage. Une chanson d’accompagnement de son travail de deuil. Une chanson du coeur mais aussi parmi les plus travaillées à la fois textuellement et musicalement de l’album et une chanson parmi les plus justes et efficaces en terme d’expression des sentiments, d’émotion, d’ambiance. Ce Long John porte loin. Mais si l’on repense à l’île au trésor, quel est donc ce trésor à conquérir? Simplement la quête de soi, les retrouvailles père-fils: car comme le dit l’évangile de Matthieu, là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur. Derrière le pirate fourbe, il y a un coeur et des sentiments que JLM voudrait pouvoir enfin obtenir : l’amour de son père ».
Trois versions qui s’opposent pour un même titre ??? Peut-être … Je n’ai pas tranché. Je ne possède pas la vérité. MURAT nous ouvre tellement de portes … Si je vous donne la parole, c’est justement pour mettre en parallèle tel ou tel perçu …
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Autre titre pour lequel MURAT ne s’est pas répandu, il s’agit de : « Passions tristes ». Je pense que les journalistes qui se trouvent en tête à tête avec Jean-Louis sont un peu frileux. Qui ne le serait pas. Il n’est pas facile d’aborder la prostitution avec un artiste. Et si MURAT voulait nous faire comprendre tout simplement qu’être chanteur, saltimbanque, se montrer en public, dévoiler le plus profond de soi-même, c’est une forme de prostitution ???
PASSIONS TRISTES …
C’est ce que me suggère une dame férue du personnage MURAT … Je reprends in extenso : « Un titre qui évoque une passe dans une voiture avec une prostituée à la fois homme et femme. Ce double visage, cette double apparence s’explique dans le fait que JLM a toujours investi la féminité à la manière d’un vampire. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans cette chanson quelques paroles allant dans ce sens « je ne veux pas que tu suces mon sang ». Récemment, dans une interview menée par Laure Adler, JLM avouait aimer la féminité jusqu’au travestissement. Et il avait déjà évoqué cette passion du féminin dans d’autres rencontres, notamment avec Pascale Clark. Ce qui est particulièrement étonnant pour quelqu’un disant abhorrer l’homosexualité féminine. Paradoxe suprême?
Mais par delà ce penchant exotique qui pourrait passer pour un simple fantasme fétichiste, il faut peut-être voir dans cette chanson une autocritique et un autoportrait de prostituée. L’artiste de spectacle comme la prostituée vend sa personne pour de l’argent, de quoi vivre. Pour cela, il va se déguiser, adopter différents comportements de séduction, de provocation pour gagner son pain et il va vendre aussi son corps d’une certaine façon, sa substantifique moëlle pourrait-on dire, et finalement presque son âme. Comme une majorité de prostituées hommes et femmes, l’artiste n’est artiste que par nécessité de survie suite à différents traumatismes d’enfance qu’il ne parvient à soigner que par la pratique artistique. Soigner le mal par le mal en quelque sorte, même si le terme peut paraître fort et disproportionné. Cette voie qui tout à la fois apporte le sublime tout en volant petit à petit ses forces vives est génératrice d’épuisement mais aussi de vitalité en même temps qu’elle constitue un apaisement indispensable. De là, naît l’oeuvre comme l’artiste. JLM avoue d’ailleurs à Laure Adler que la création musicale et textuelle lui permet de ne pas en finir avec la vie. C’est une nécessité pour combattre des pulsions suicidaires qui cycliquement l’entraînent au pire.
Autre constat : la prostituée définit de façon claire et précise ce qu’elle veut et refuse, préalable à tout commerce sexuel, mais sans doute pas aussi radical que ce que met JLM dans la bouche de la prostituée. Ce réquisitoire implacable qu’on retrouve également côté client et aussi côté JLM dans les interviews donne une coloration étrange à la chanson. On comprend dès lors que la prostituée est une sorte de travestissement de JLM, d’autoportrait voilé dévoilé de lui-même, à la fois morbide, mélancolique, presque suicidaire, autodestructeur mais aussi très brute, sensuelle et crue. Les passions tristes de JLM, comme une forme de masturbation artistique, le renvoient à un lui-même prostitué et enfermé dans une prison qu’il s’est lui-même construite en devenant célèbre. A la fois protection et aliénation. Le fameux miroir aux alouettes aurait-il trouvé une chanson exutoire à la fois ironique, désabusée et désespérée? L’envers du décor de l’artiste en quelque sorte … ».
Chère amie, je crois que vous avez raison. Mon interlocutrice poursuit : « En réécoutant cette chanson l’autre jour dans ma voiture, je pensais à une interview de Grisélidis Réal, prostituée indépendante suisse, militante, écrivain et peintre également. Une drôle de femme qui parlait très bien du métier de prostituée indépendante dans les années 70 mais qui avait aussi une certaine clairvoyance sur le monde, la société, la violence, la misère, la vacuité humaine, la colonisation et les catastrophes humaines qu’elle engendre sur les individus. Ce qui est curieux, à croire que JLM avait lu les écrits de Grisélidis, elle évoque dans son livre paru post-mortem « Suis-je encore vivante? » le cinéma qui évoque à la fois la prison et le bordel. Or JLM utilise aussi ce terme dans sa chanson. Hasard ou coïncidence? Cette femme comme JLM écrivait et peignait ».
GRISELIDIS Real est abordée ainsi par un journaliste : « Que vaut il mieux prostituer: son cul ou son âme? ». Elle répond : « Le cul, bien entendu. C’est plus pénible physiquement, mais c’est plus propre ».
Ci-dessous une vidéo d’un poème chanté « Mort d’une pute » écrit par la Suissesse … « Enterrez-moi nue/Comme je suis venue ».
Décidément MURAT a l’art de mettre son nez là où il ne faut pas … J’attends vos réactions. Vous pouvez me proposer vos idées … Merci …
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A la question du journaliste qui lui demande que signifie « quittons cet exil que me font les chansons? » j’ai une réponse : Jean Louis dit que les chansons sont pour lui une nécessité absolue qui lui permettent de supporter l’existence (« j’écris comme on purgerait des vipères »)
on peut y voir deux choses :
l’exil est la Terre => quittons cet exil veut dire , je voudrais quitter la vie terrestre , que me font les chansons (avec un ?) peut se comprendre ainsi : ce ne sont pas mes chansons qui vont me retenir …
ou bien l’exil est un endroit plus immatériel qu’il rejoint lorsqu’il écrit des chansons, peut être une sorte de transe … qu’il ne souhaite pas conserver, qu’il chercherait à fuir pour retourner à quelque chose de plus terre à terre comme la recherche d’un trésor…
Je vous laisse apprécier.
Je lis le commentaire sur Long John Silver et Jim Hawkins et l’Ile au Trésor.
Oui, sans conteste il y a là une association de JLM avec Jim ( le même que dans la chanson Jim alors il s’agissait de Jim Harrisson )…il y a un processus d’identification. Mais, il ne s’agit pas de son père et d’un travail de deuil, pas du tout. Il s’agit d’une complicité avec un autre personnage et une quête commune d’un même Trésor ( la Vénus d’Argent ) Argent = Silver …il ne va pas convoiter la même femme que son père ?? donc,ça ne tient pas.
Il y a un appel mais qui ne s’adresse pas à son père.
En outre, quelqu’un a dit oui il s’agit de son père « évidemment » qui s’appelait Jean . Non, son père ne s’appelait pas Jean ! arrêtons avec les hypothèses avancées comme des certitudes. Chacun a le droit de publier son sentiment mais attention aux évidences qui n’en sont pas.
Et là, devant tant de non sens, je dis NON, ce n’est pas ça.
De plus, rappelez vous Neige et pluie au Sancy puis les phrases » père jeté en prison en novembre » » ce vaurien mérite pas son nom » « père, ne faites pas de mal aux petits » et vous verrez que cet élan ne s’adresse pas à lui.
La Vénus d’argent est la statue de proue du bateau du roman de l’île au trésor, Florence. Pas une conquête féminine. Et l’analogie entre Long John Silver le pirate et le père de JLM, reconstruit en héros de façon fantasmatique, est tout à fait plausible. Dans le contexte d’écriture de l’album, fin de vie du père, décès, la relecture du père en héros aide au travail de deuil déjà entamé du vivant du père. Lorsqu’on perd un parent de démence sénile, on fait son deuil beaucoup plus tôt que si le parent meurt de mort naturelle. Ce deuil démarre au moment où la dépendance et la démence du dit parent amènent une rupture de plus en plus grande au plan relationnel.
comment discuter avec quelqu’un qui a toujours raison, chez qui il n’y a jamais de place pour le doute ? je laisse tomber, c’est peine perdue.
Cette page a vocation à laisser chacun s’exprimer (donner sa version des textes de JLM) … Merci Flo.
D
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Fort bien Didier je reçois ton message 5 sur 5.En même temps, lorsque je laisse mon impression je n’assène pas de certitudes, je ne dis pas « c’est ainsi et pas autrement » . Ce n’est pas le cas de tout le monde. Et puis, si l’on ne peut plus discuter, on n’avancera jamais. A bon entendeur.